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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/905

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peut-être aujourd’hui, par une réaction assez naturelle, tient-on un peu trop à voir blanc. Qu’on cherche à débarrasser un tableau de ses souillures et à lui rendre autant que possible son état primitif, rien de mieux, quand l’opération est exécutée avec le soin et l’expérience nécessaires. Mais si, dans nos visites réitérées aux divers musées de l’Europe, nous avons quelquefois déploré l’aspect fumeux de certaines toiles, — et ce n’était pas toujours le vernis qui avait déterminé cet aspect, — plus souvent, hélas ! nous avons pu constater l’effet désastreux de ces dévernissages radicaux et de ces nettoiemens à outrance qui ont compromis ou même ruiné entièrement d’autres œuvres. La pratique des maîtres est très diverse, et les causes de détérioration des peintures sont aussi très variées : elles impliquent par conséquent de grandes différences dans les modes de traitement destinés à les remettre en état. Il n’est guère d’art plus difficile que celui de restaurateur de tableaux, et savoir s’arrêter à temps dans la régénération d’une œuvre endommagée constitue chez lui une des qualités les plus précieuses et les plus rares. Pour ce qui touche Rembrandt et la Ronde de nuit, quand M. Durand-Gréville, — qui est revenu à diverses reprises sur ce sujet, — souhaite de voir pousser plus avant une opération d’une nature aussi périlleuse, il nous semble qu’il cède, à son insu, à l’idée un peu absolue qu’il s’est faite de la clarté des tableaux du maître, et c’est là un point sur lequel il nous paraît juste de nous expliquer. Que dans cette prétendue Ronde de nuit Rembrandt ait voulu, — comme nous l’avons vu par le propos de Keilh, et comme Vosmaer l’a déjà dit expressément, — représenter un effet de plein jour, l’aspect seul du tableau suffit aujourd’hui à le prouver d’une manière irrécusable. On y chercherait en vain quelque trace d’un éclairage nocturne, et, à la direction de l’ombre portée par la main de Banning Cocq sur le pourpoint de son lieutenant, il est même permis de préciser la situation du soleil, placé à ce moment un peu à gauche et encore assez élevé au-dessus de l’horizon. Quant à parler de la clarté de cet effet de soleil et « de l’effet clair du tableau primitif, » les témoignages des contemporains sont trop décisifs, ils contredisent trop formellement cette assertion pour qu’il nous semble possible de l’admettre. Sans même rappeler ici les conditions dans lesquelles Rembrandt a exécuté son œuvre, ni les reprises et les surcharges dont elle porte la trace et qui, ainsi que Vosmaer l’a remarqué avec raison, ont certainement contribué à l’obscurcir, il est certain qu’à l’origine la peinture était très colorée, très montée de ton.

Les rapprochemens qu’invoque M. Durand-Gréville à l’appui de sa thèse n’ont, à aucun degré, l’éloquence qu’il leur