Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/340

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

envoyer devant lui quelques menus cadeaux qu’il fallait rendre au centuple. On buvait, on mangeait aux frais du chrétien ; puis, au dessert, s’il se faisait tirer l’oreille, on lui rappelait la petite contribution ; et avec de si jolis mots ! Vous n’avez pas oublié ces amoureux, dans Lucrèce, qui zézaient des mots grecs pour peindre les charmes douteux de leurs maîtresses. De même ces bons apôtres, lorsqu’ils faisaient les yeux doux à notre cassette. De quel front refuser, par exemple, le psychoméridion, ou le don pour la sieste des âmes ! Mais quand ces paroles melliflues manquaient leur effet, le père spirituel le prenait sur un autre ton : il disait anathème sur le village ; et les gens de sac et de corde, qu’il traînait sur ses talons, prenaient d’assaut l’église et pillaient les maisons, tandis que les habitans fuyaient éperdus. Fâcheuse extrémité, sans doute. Ces campagnes désolées étaient vilaines à voir. Mais on se dédommageait à la mense épiscopale, où de belles Arméniennes riaient, chantaient toute la journée et vendaient au plus offrant la protection du prélat.

Ne croyez pas que le commun des popes fussent moins à plaindre que les paysans. Le plus souvent ils étaient Grecs ou Bulgares, c’est-à-dire corvéables à merci. La plupart d’entre eux ne savaient ni lire ni écrire. Ils grattaient la terre avec leurs ongles, comme les autres. On en voyait par centaines qui mendiaient de ferme en ferme. Ils ne se distinguaient du vilain que par la barbe. Sans doute, une belle barbe console de bien des choses, mais elle ne donne point à souper. Une des gentillesses du temps consistait à faire fouetter devant l’autel les popes mauvais payeurs. Les plus fortunés gagnaient leur pitance en servant monseigneur au jardin ou à l’étable. Tous n’étaient pourtant pas d’humeur accommodante. Au début de ce siècle, à Tirnova, un certain pope du nom de Joachim, adoré de ses ouailles, détesté de son évêque, reçut l’ordre, un jour, de l’aire la corvée du fumier dans l’écurie épiscopale. Il se rebiffa : aussitôt la valetaille l’assaillit à coups de fourche. Mais notre homme était vigoureux ; il se débattit, et, laissant sa tunique en gage, s’en fut tout chaud chez le cadi. Le soleil n’était pas couché qu’il devenait bon musulman. Il mourut plus tard, dit-on, en combattant les chrétiens, mais du moins frappé par devant, et non plus par derrière. Dieu me pardonne ! à sa place, j’en aurais fait autant. Pour que l’église ait compté si peu de Joachim, il fallait que la foi fût chevillée dans les âmes.

Certes, je ne confonds pas ce clergé méprisable avec les braves Hellènes qui, comme nous, ont scellé leur liberté de leur sang. Je consens même à croire que les Grecs de Constantinople valent mieux aujourd’hui, et que l’église patriarcale s’est corrigée de ses abus. Il n’en est pas moins vrai que leurs devanciers ont perdu