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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/342

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m’eût été difficile de voir en lui le descendant de ces terribles marchands d’âmes. Fiez-vous donc aux apparences ! Toutefois, il me semble que votre réquisitoire donne en plein dans mon raisonnement. Sans doute, je comprends mieux les causes qui vous divisent, je fais la part des responsabilités : mais plus vos rancunes sont légitimes, plus vos dissensions me paraissent irrémédiables. J’avais donc raison de dire que vous n’avez pas des motifs particuliers de reconnaissance envers le culte orthodoxe…

— Halte-là ! mon cher monsieur. Vous ne voyez qu’un côté du tableau. Qui jugerait notre église d’après la surface la connaîtrait mal. Nos mesures ne sont point les vôtres. Le pays qui vous a vu naître, la religion qui vous a donné les premiers principes sont également centralisés. Sans le vouloir, vous rapportez tout à ces premiers modèles. Vous regardez d’abord une institution, comme un homme, à la tête : vous n’accordez aux membres qu’une attention médiocre. C’est un tort. Avez-vous remarqué, en vous promenant dans nos campagnes, ces arbres magnifiques dont la cime desséchée semble frappée de la foudre ? Cependant ils ne cessent de reverdir par le bas et continuent d’abriter les générations des hommes. C’est l’image exacte de l’église d’Orient. Au sommet, la ruine et la désolation ; à la base, des branches vigoureuses qui repoussent plus dru à mesure qu’on les coupe, et qui répandent au loin leur ombre. Notre église eût été perdue cent fois par les puissans ; mais elle a été sauvée par les humbles. Juste compensation de nos misères : nous ne connaissons pas la centralisation catholique, mais notre culte ne sera jamais à la merci d’une constituante ou d’un Napoléon. Je pourrais vous démontrer que nous sommes, en cela, plus fidèles à la tradition évangélique ; que l’église primitive n’était qu’une vaste fédération de petites républiques religieuses. Je pourrais suivre, à travers les siècles, les traces de ce gouvernement démocratique, car la tyrannie d’en haut ne l’a jamais complètement étouffé. Ces contradictions sont fréquentes en Orient ; l’empire turc vous en offre de nombreux exemples. Mais il n’est pas nécessaire de remonter si haut. Rappelez-vous ce que vous avez vu : la bonhomie du bas clergé, la fraternité des moines et des paysans ; — et ce que vous avez entendu dire : le village chrétien solidaire devant le pacha comme devant l’évêque ; l’église administrée par les anciens ; les conseils locaux réparant de leur mieux les méfaits du pouvoir central : vous comprendrez alors quelle révolution sourde s’est opérée dans ces pauvres esprits. Vous les verrez se serrant autour de ce pasteur, aussi rude et malmené qu’eux-mêmes, mais qui, du moins, leur parlait d’espérance. Cette union, que nos évêques