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est obligé d’emporter sur son dos son vieux père et ses Pénates ; Hector est venu les lui confier au dernier moment, parce qu’il sait bien qu’ils seraient incapables de se sauver tout seuls :


Sacra suosque tibi commendat Troja Penates.


Remarquons en passant l’usage que saint Augustin fait de Virgile. Le grand poète s’imposait aux gens de tous les cultes ; l’éducation le rendait familier dans tous les pays où on parlait latin. « Une fois que ses vers ont coulé dans les jeunes âmes, dit saint Augustin, il est impossible de les oublier. » Aussi le cite-t-il sans cesse comme une autorité qui n’est récusée de personne.

C’est encore un auteur profane qui lui sert à répondre à d’autres reproches. Pour quelques Romains plus heureux qui s’étaient sauvés en se réfugiant dans les églises, combien avaient péri dans les maisons et dans les rues ! que de pillages et de massacres pendant ces fatales journées ! Mais ne devait-on pas s’y attendre, et s’était-il rien passé à Rome qui fût surprenant et nouveau ? « Quand une ville est prise, dit Salluste, les vaincus perdent tout (capta urbe, nihil fit reliqui victis…) On ravit les vierges et les jeunes garçons, on arrache les enfans des bras de leurs parens ; les mères de famille sont livrées aux outrages des vainqueurs ; on pille les temples et les maisons ; partout le meurtre et l’incendie ; tout est plein d’armes, de cadavres et de sang. » Que voulez-vous ! ce sont les lois de la guerre ; les Romains les ont toujours appliquées sans pitié ; s’ils les subissent à leur tour, il ne leur convient pas d’en être surpris. Parmi ces horreurs, il y en avait dont les âmes chrétiennes s’étaient plus particulièrement émues. Beaucoup de victimes étaient restées sans sépulture : on n’avait pas pu les ensevelir auprès de leurs parens, avec les cérémonies accoutumées. C’est un malheur, dit saint Augustin ; mais, après tout, la pompe des funérailles, un cortège nombreux, un tombeau magnifique sont plutôt des consolations pour les vivans qu’un soulagement pour les morts. Les païens eux-mêmes le reconnaissent. Un de leurs poètes n’a-t-il pas dit : « Le ciel se charge de couvrir ceux qui n’ont pas de tombe ? » Ce qui était plus grave, c’est que des vierges consacrées au Seigneur avaient été outragées par les barbares. Quelques-unes, pour ne pas survivre à leur déshonneur, s’étaient tuées ; les autres vivaient dans la retraite et la douleur, demandant à Dieu le pardon de leur faute involontaire. Sur la conduite des unes et des autres, la communauté chrétienne se partageait, et vraisemblablement on avait beaucoup discuté pour savoir auxquelles on devait donner la préférence. Saint Augustin, reprenant la question, parle de toutes avec sympathie ; il n’en veut condamner