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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/365

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leur ancien culte et restaient plus qu’à demi païens. Les conversions s’étaient faites très vite, par entraînement ou par calcul. Libanius avait bien raison d’affirmer qu’elles ne pouvaient pas être très solides. « Ces prétendus convertis, disait-il à Théodose, ont changé de langage, et non de croyance ; ils n’ont pas renié leur loi, mais dupé leurs persécuteurs. » C’est ce que montrent surabondamment les sermons de saint Augustin. Il se plaint en propres termes « que les idoles chassées des temples soient restées dans les cœurs. » On le voit bien aux reproches qu’il est obligé d’adresser aux fidèles. Que de débris d’anciennes superstitions vivent encore chez ces chrétiens d’un jour ! Aux saturnales, aux calendes de janvier, ils s’envoient des étrennes, comme font les idolâtres ; pendant les mêmes fêtes, ils s’assemblent, ils se travestissent, « se couvrent de peaux de bêtes, se mettent des têtes d’animaux, et emprisonnent, dans des vêtemens de femmes, des bras faits pour porter les armes. » Ils continuent à croire à l’astrologie et ne font rien sans consulter un devin. Dès qu’ils sont malades, ils ont recours à des remèdes magiques que leur enseigne quelque vieille païenne du voisinage. Surtout, ils ne veulent pas renoncer au théâtre et au cirque. Que de fois n’est-il pas arrivé que, lorsqu’Augustin est monté en chaire un jour de fête publique, il a trouvé l’église vide ! Son auditoire était allé entendre les mimes ou voir les courses de chars. Il se plaint, il gronde, et ne corrige personne. Les plus timides s’excusent comme ils peuvent ; les plus francs ne rougissent pas d’avouer qu’ils prennent dans les deux cultes ce qu’ils ont de meilleur : « Nous sommes chrétiens, disent-ils, à cause de la vie éternelle, et païens pour les agrémens de l’existence de ce monde. » Saint Augustin n’avait donc pas de peine à voir que le paganisme n’était pas mort, quoique à chaque édit nouveau des empereurs on s’empressât de célébrer ses funérailles, et qu’il vivait souvent dans le cœur de ceux qui semblaient s’être séparés de lui. C’est ce qui explique qu’il ait employé cinq livres de la Cité de Dieu à le combattre.

Je n’ai pas l’intention de le suivre pas à pas dans cette longue polémique. Les contemporains jugeaient qu’il lui avait porté des coups terribles ; il nous semble aujourd’hui qu’il n’en a pas toujours bien compris le véritable caractère. Le sens de ces vieilles religions s’était perdu, parce qu’on n’avait plus l’intelligence des époques primitives d’où elles sont sorties. Sur ce point les païens n’étaient pas plus éclairés que leurs adversaires ; faute de savoir remonter aux origines lointaines de leur culte, de connaître comment leurs légendes se sont formées et ce qu’elles signifiaient à leur naissance, ils n’ont pas toujours trouvé les véritables