Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croyances s’étaient formées. Les hommes des premiers âges, à qui le spectacle de la nature révéla l’existence des dieux, qui personnifiaient la pureté du ciel dans Jupiter, l’agitation des flots dans Neptune, la fécondité universelle dans Vénus, à chaque phénomène qui frappait leurs yeux créaient une divinité nouvelle et ne se préoccupaient pas de mettre quelque harmonie entre leurs inventions diverses. Ils cédaient à l’inspiration du moment, ils s’abandonnaient chaque fois à leur imagination émue, sans éprouver le besoin de former un système religieux qui fût homogène et complet. C’est plus tard que ce besoin est né, et il vient des écoles de philosophie. Les philosophes, qui se piquent de procéder en tout avec suite et régularité, voulurent d’abord enfermer leurs conceptions dans des formules précises ; ils créèrent des principes, ou, comme ils disaient, des dogmes (ce mot leur appartient, et les religions le leur ont emprunté) ; puis ils les enchaînèrent entre eux, les reliant les uns aux autres de manière à en former un corps de doctrine. L’esprit se plut à ces édifices régulièrement bâtis et s’accoutuma si bien à les habiter que de la philosophie l’habitude s’imposa aux religions et que bientôt on exigea d’elles des symboles et des professions de loi. Jusque-là, personne ne leur avait rien demandé de pareil ; j’imagine même que, du temps de Cicéron, on regardait comme un grand bienfait cette indécision des croyances, qui laissait aux sages toute leur liberté. Ils n’étaient astreints, envers le culte national, qu’à quelques pratiques qui ne les gênaient, guère, parce qu’ils y étaient accoutumés dès l’enfance ; quant au fond même de la religion, comme il n’y avait pas de doctrine officielle et arrêtée, ils pouvaient croire ce qu’ils voulaient. C’est le beau temps des libres-penseurs, mais ce temps ne dura pas. De même qu’à certains momens les peuples, pour échapper au désordre, aspirent au despotisme, de même il arrive aux penseurs d’éprouver un tel désir de certitude qu’ils sont prêts à tout sacrifier pour le satisfaire. Ils réclament alors le joug avec la même ardeur qu’ils souhaitent ordinairement l’indépendance.

Mais ce n’est pas tout de désirer la servitude ; on ne rencontre pas toujours aussi aisément qu’on pense l’ordre ou l’autorité capable d’imposer la foi. Le paganisme ne semblait pas fait pour cette tâche ; rien ne lui était plus difficile que d’inventer des dogmes, de les faire accepter de ses fidèles, de trouver une façon d’expliquer ses dieux et ses légendes qui ne blessât personne. Il l’essaya pourtant ; il tenta plusieurs fois de se renouveler, de se rajeunir, de répondre aux exigences de l’opinion, et l’un des principaux intérêts de la Cité de Dieu est de nous faire connaître ces tentatives en les combattant. D’abord, pour soustraire leurs légendes au reproche d’immoralité, qui leur était fait aussi bien par les sages de