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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/448

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membres de son cabinet, signalant l’insuffisance de M. Bayard, le secrétaire d’état, dont elle accusait, avec un singulier à-propos, la politique incertaine et toute d’à-coups de ne déguiser, sous la violence des formes, qu’impuissance et faiblesse ; dénonçant l’insouciance de M. Lamar, secrétaire de l’intérieur, vis-à-vis des accapareurs de terres publiques ; menant une campagne vigoureuse contre M. Garland, l’attorney général, à tort ou à raison soupçonné de s’enrichir au pouvoir et de prêter la main à des spéculations douteuses. Elle ne tenait pas le président pour complice, mais elle le tenait pour coupable de s’entourer d’hommes incompétens ou décriés.

La presse démocratique ripostait avec vigueur ; multipliant ses accusations contre les financiers, amis de Blaine, adhérens d’Harrison ; contre l’intervention des gros capitaux dans l’élection ; s’efforçant de recruter dans la puissante association des Chevaliers du travail de nouvelles voix pour combler les vides faits dans ses rangs, y réussissant en partie. Jusqu’au jour du vote le résultat resta indécis. Enfin, le 4 novembre 1888, on procédait au scrutin. Harrison l’emportait sur Cleveland ; le parti démocratique, dépossédé du pouvoir, cédait, une fois de plus, la place à ses adversaires, et, le 5 mars 1889, M. James G. Blaine entrait aux affaires en qualité de secrétaire d’état.


II

Il y apportait une ambition longtemps comprimée, une volonté tenace et sûre d’elle-même, une expérience consommée des hommes et des mobiles qui les font agir, une rare entente de la politique et des rouages parlementaires. Il y apportait aussi son intrépide confiance en lui-même et ses grandes visées d’avenir.

A certains momens de leur existence nationale, les peuples jeunes, vigoureux et prospères, sentent confusément s’agiter en eux l’instinct de leurs hautes destinées. Sur eux, comme sur l’adolescent, passe, ainsi qu’un souille invisible, « l’orgueil de la vie ; » dans leurs veines circule un sang chaud, généreux et puissant. Ils croient tout possible, n’ayant encore tenté que ce qui était possible ; ils croient leurs forces illimitées, une douloureuse expérience ne leur en ayant pas encore révélé les limites. La grande république en est à ce moment de son histoire. Elle est sortie victorieuse de la double épreuve de la guerre étrangère et de la guerre civile ; elle a conquis sur l’Angleterre son indépendance, sur elle-même son unité nationale. Plutôt que de se résigner à l’existence végétative d’une fédération d’états, elle n’a pas hésité à sacrifier un