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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/459

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que pourrait faire courir aux États américains une ingérence toujours possible et peut-être menaçante de l’Europe ? Compte-t-il assez et assez tôt, sur la réussite de son projet pour attendre d’elle et du prestige qui rejaillirait sur lui la solution des difficultés qu’il accumule à plaisir, ou bien, engagé trop avant, par ses critiques contre la politique, vacillante de M. Bayard ; estime-t-il qu’il se doit à lui-même et qu’il doit à son parti de se montrer aussi net et aussi cassant que son prédécesseur était irrésolu ? Est-ce par confiance en son audace, par indifférence des conséquences ou par instinct naturel et agressif, qu’ajournant le règlement définitif de la question des pêcheries avec l’Angleterre, il laisse s’envenimer un état de choses qu’un incident peut faire dégénérer en conflit sérieux ? Bien qu’en apparence les difficultés soulevées entre les États-Unis et l’Allemagne au sujet des îles Samoa soient réglées, elles le sont de façon à pouvoir renaître et déjà des difficultés analogues surgissent aux îles Marshall, où les Américains protestent contre les agissemens allemands et où le secrétaire d’état intervient en faveur de ses nationaux, ce qui est son droit et son devoir, et des indigènes, ce qui est plus grave et peut l’entrainer, plus loin.

A quel mobile obéissait-il, en livrant à la publicité retentissante de la presse américaine le récit de son entrevue avec M. Milliken[1], entrevue dans laquelle, soulevant la question, brûlante de l’annexion du Canada et de Cuba, il éveillait à nouveau, et simultanément les appréhensions de l’Angleterre et de l’Espagne ? « L’annexion du Canada, disait-il, n’est pas encore mûre ; sachons attendre, ce n’est qu’une question de temps, avant peu nous cueillerons le fruit. » Puis il ajoutait : « De toutes les annexions auxquelles nous sommes en droit de prétendre, celle de Cuba, la perle des Antilles, l’île siempre leal, comme l’appellent les Espagnols, l’île toujours malpropre comme on pourrait la désigner, est la plus légitime. Cuba est un foyer d’infection, la serre chaude de la fièvre jaune, qui périodiquement envahit nos côtes et décime nos populations. Cuba, entre nos mains, assainie et drainée, cesserait d’être un danger permanent ; le fléau disparaîtrait à jamais. Même au point de vue économique, nous aurions avantage à acheter Cuba à l’Espagne ; si élevé que pût être le prix qu’elle en demanderait, il serait encore inférieur à ce que coûte la fièvre jaune au bassin du Mississipi. Enfin Cuba est un point stratégique important ; elle confine, au nord à la Floride, au sud à la presqu’île du Yucatan ; elle ferme l’entrée du golfe du Mexique, elle en est la clé, et cette clé

  1. Voyez le New-York Herald du 12 février 1889.