Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lourdeletet A. Prince, président et vice-président de cette chambre, ont donné l’éveil. On ne saurait que les louer de leur vigilante sollicitude. Le jour où l’initiative, privée d’hommes compétens, habitués au maniement des grandes affaires, viendra, comme dans ce cas, apporter son concours à la diplomatie officielle, réclamer celui de la presse, un grand progrès sera réalisé.

Ce qui est pour attirer et retenir l’attention, c’est la persistance de l’idée conçue par Bolivar, en germe dans le message de Monroë, reprise en 1881, et que M. Blaine s’efforce de réaliser en 1889. Il y a là l’indice qu’en elle-même cette idée répond, dans une certaine mesure, à une aspiration légitime, qu’elle renferme en elle un germe de vérité et de progrès ; et c’en est un que cette tendance à supprimer des barrières artificielles, à substituer une monnaie unique, un système uniforme de poids et de mesures, d’évaluation et de classification, aux entraves résultant de monnaies diverses, d’usages commerciaux aussi, variés que compliqués. Avec tout son savoir-faire, malgré toute son habileté, M. Blaine ne dégagera de sa conception que ce qu’elle contient de juste et d’immédiatement réalisable. Le reste : l’union douanière, le tarif des États-Unis étendu au continent entier, l’Amérique fermée aux produits européens, ne saurait aboutir qu’en des temps autres et des circonstances différentes.

C’est moins encore des États-Unis que de l’Europe qu’il dépend de précipiter les événemens, de hâter ou d’écarter cette éventualité. C’est de l’Europe qu’il dépend de resserrer ses liens commerciaux avec ces nations nées d’elle et dont l’Exposition de 1889 a révélé la vitalité puissante et la production croissante, d’éviter les complications politiques, les menaces d’intervention qui les jetteraient dans les bras de la grande république. La question vaut que l’Europe s’en occupe et que ses diplomates s’en préoccupent. Avec un homme d’état de l’envergure de M. Blaine, aussi tenace en ses idées que fertile en ressources, bien des surprises sont possibles ; et, de ce que les circonstances actuelles militent contre son projet, il ne s’ensuit pas qu’elles soient immuables, et, contre toute attente, ne changent. Si le Bismarck américain n’a, pour lui et derrière lui, ni les éclatans succès de son modèle, ni une organisation militaire préparée de longue main, et, au moment décisif, sans égale, il a derrière lui une nation prospère, pleine d’ardeur et d’ambition, des capitalistes comme le monde n’en avait pas encore vu ; il a, pour lui, les fautes que l’Europe pourrait commettre et le parti qu’il en saurait tirer..


C. DE VARIGNY.