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des pavillons britanniques. Aussitôt, les journaux de Londres ont rouvert le feu de leurs polémiques contre ce malheureux Portugal ; lord Salisbury a de nouveau protesté et, ce qui achève de tout compliquer, c’est l’apparition d’une dépêche venue on ne sait d’où, représentant sous le jour le plus sombre tous ces incidens africains, accentuant l’injure qu’aurait subie le pavillon britannique. Aujourd’hui, à entendre les journaux anglais, il ne faudrait rien moins qu’envoyer des navires dans la baie de Lagoa sur la côte de Mozambique et peut-être même aux bouches du Tage. Le Portugal cependant a fait bonne contenance tant qu’il l’a pu, et récemment encore, à l’ouverture des chambres de Lisbonne, le nouveau souverain, le roi don Carlos parlait en prince résolu à épuiser les moyens de conciliation avec une alliée traditionnelle, mais aussi à défendre les droits de son pays.

Comment tout cela finira-t-il maintenant ? L’Angleterre se laissera-t-elle entraîner dans une lutte inégale contre un petit peuple défendant ses droits ? Procédera-t-elle à une sorte d’exécution contre le Portugal à propos du Zambèze ? On aurait pu en douter, on en a peut-être douté jusqu’au dernier moment. Malheureusement l’Angleterre a tenu à prouver une fois de plus qu’elle avait toujours ses manières d’en finir, qu’elle ne craignait pas d’abuser de la force. Elle vient, par un ultimatum imprévu, de placer le Portugal entre une capitulation et la menace d’une rupture ; elle n’a même laissé que vingt-quatre heures au cabinet de Lisbonne pour se décider. Que pouvait faire le Portugal ? Il avait commencé par défendre ses droits ; il a fini par céder en sauvegardant de son mieux sa dignité. Ce n’est point, assurément, une grande victoire pour l’Angleterre, c’est peut-être, pour un petit pays froissé dans ses plus vives susceptibilités nationales, le commencement d’une crise intérieure qui n’est pas sans danger. Il y a en vérité dans tout ceci quelque chose de bien singulier. Depuis quelque temps, pour justifier toutes les entreprises, dans cette obscure Afrique, on ne cesse d’invoquer l’humanité, la civilisation, l’intérêt supérieur d’une répression plus efficace de l’esclavage ; puis, en définitive, on ne voit que des ambitions rivales, des états occupés à se disputer des territoires, à prendre, des positions nouvelles, à étendre leurs conquêtes, fût-ce au détriment des faibles. Si la politique de l’Europe en est là, sauf le respect dû aux puissans du monde, les rois nègres pourraient dire qu’ils en feraient autant !

A défaut des complications extérieures qui lui sont, pour l’instant, épargnées, l’Espagne ne commence pas heureusement l’année dans ses affaires intérieures. Depuis quelques jours déjà elle est sous le coup des plus sérieuses préoccupations par la maladie inopinée du jeune roi sur qui reposent les espérances monarchiques du pays, et par la difficulté de refaire un ministère au milieu de l’anarchie et de la