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VI. — L’ARMÉE DE SECOURS. — LA « REVANCHE D’ARRAS. » DÉFAITE DE LA FERTÉ. 16 JUILLET.

Le 29 juin, des hautes tours de Valenciennes, on découvrit les colonnes en marche vers Haspres et Douchy, dans la direction de Bouchain. Le 30, don Juan écrivait de Thian[1] aux habitans de la bonne ville, et le lendemain son armée s’arrêtait à portée de canon des lignes de Turenne, entre Famars[2] et Préseau. Pendant la nuit, un gros détachement passa sur la rive gauche ; le 2 juillet, à la pointe du jour, Condé, Caracena, le prince de Ligne, Marchin, reconnurent cette face des retranchemens français, ce qui donna lieu à quelques escarmouches ; puis ils repassèrent le fleuve, laissant un poste à la censé d’Urtebise.

Au sud-ouest de Valenciennes, isolé, au point culminant du plateau, un groupe de bâtimens ruraux formant un vaste rectangle, fermé de hautes et épaisses murailles, domine toute la contrée : c’est la cense d’Urtebise. C’est là que Louis XIV, à cheval, à la tête de ses troupes sous les armes, en face de Guillaume, s’arrêta, tint conseil, et finit par renoncer à l’espérance de la victoire, non par crainte du péril, mais pour ne pas exposer le Roi aux risques d’une défaite. — Quelle vue ! et que de souvenirs ! — Dans le fond, Valenciennes, cachée au milieu des arbres, et les prairies boisées, marécageuses de l’Escaut, large ruban vert qui se déroule jusqu’à Condé. Plus près, devant l’ouvrage couronné que les mousquetaires de 1677 enlevèrent avec une si incroyable audace, le monument élevé à la mémoire du général en chef Dampierre[3], tué en 1793, l’aïeul du vaillant officier qui, soixante-dix-sept ans plus tard, tomba sous les murs de Paris à la tête des mobiles de l’Aube ! Et là-bas, à l’ouest, sous le nuage de fumée noire que vomissent des centaines de cheminées, ce rideau de Denain où Villars, saisissant avec un admirable à-propos l’erreur d’un grand capitaine, perça les lignes du prince Eugène et sauva la France épuisée !

Cette position d’Urtebise resta occupée quinze jours sans que l’armée de secours en fît usage pour appuyer aucune manœuvre. Le duc de Wurtemberg d’abord, puis Marchin, s’établirent assez loin, sur la rive gauche, au débouché des grands bois, gardant les

  1. Neuf kilomètres sud-ouest de Valenciennes, rive droite de l’Escaut.
  2. Cinq kilomètres et demi sud-est de Valenciennes.
  3. Picot, comte de Dampierre, était l’ami de mon père ; en 1791 et pendant les premiers mois de 1792, leurs deux régimens de dragons formaient une brigade, qu’en vertu de son ancienneté Dampierre commandait comme colonel-brigadier.