Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/493

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

abandonnés. Plus loin les chevau-légers du maréchal, déjà hors d’atteinte, couvrent la retraite de l’infanterie, qui marche en ordre de bataille dans la direction du Quesnoy.


VII. — TURENNE, PAR SA CONTENANCE, SA TÉNACITÉ ET SES MANOEUVRES, RELÈVE LES ARMES DE LA FRANCE.

Deux ans plus tôt, devant Arras, Condé avait pu secourir ses alliés espagnols surpris et séparés de lui par la Scarpe. Sous les murs de Valenciennes, dans des circonstances analogues, Turenne ne put sauver La Ferté. Dès le début du siège, il cherchait à mettre son collègue à couvert en créant sur le Mont-Anzin ce réduit si imprudemment démoli ; il ne l’a pas abandonné cette nuit. Aux premiers coups de feu, les deux régimens les plus rapprochés traversaient le fleuve qui déborde ; mais les eaux montent : ceux qui essaient de les franchir sont submergés ; toute communication devient impossible, et la défaite de La Ferté est aussi rapide que les progrès de l’inondation. Le désastre est irréparable ; la moitié de l’armée est perdue ; si le maréchal hésite, tout disparaîtra dans le gouffre ; le devoir est de sauver ce qui reste.

En mainte rencontre Turenne avait déjà donné de grandes marques de fermeté dans les revers, de sang-froid et de jugement dans les circonstances difficiles ; son habileté à conduire les troupes était connue, admirée, et on pouvait suivre la marche ascendante de son génie stratégique. Jamais encore la puissance de sa pensée n’avait conduit sa prudence au degré d’audace où nous allons le voir arriver ; il va atteindre la dernière limite de ce qu’un chef peut obtenir de ses soldats ; la profondeur, la pénétration de son esprit se dévoilent ; on devine l’homme qui conduira les immortelles campagnes de 1673 et 1674, qui, à Türckheim, attaquera une heure avant le coucher du soleil pour ne pas laisser à un ennemi trois fois plus nombreux le temps de se relever d’un coup sûrement préparé et inopinément frappé ; — qui, à Salzbach, sera tué au moment où il se place le clos à l’empire, la face à la France, pour forcer Montecuccoli à lui céder la vallée du Rhin !

En ce jour, 16 juillet 1656, après avoir tiré son infanterie et sa cavalerie des lignes, — où il abandonne son artillerie et ses équipages, tout, hors les hommes et les chevaux, — Turenne traverse la plaine au pas, en grand ordre, et s’arrête à trois lieues et demie, appuyé à la place du Quesnoy. La position est belle ; mais pas un outil pour la retrancher, pas un canon à mettre en batterie (hors trois ou quatre pièces légères), rien que les armes, la poudre et les balles portées par les fantassins ou cavaliers. La petite