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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/581

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l’âme de l’enfant est à moi comme l’âme du père ; l’âme qui péchera sera celle qui mourra. » Jérémie n’a-t-il pas crié : « Chacun mourra pour son iniquité. » Seuls le crime et la vertu sont individuels ; à l’heure de sa naissance, l’enfant est innocent ; le repousser parce qu’il vient au monde dans des conditions qui sont en dehors des conventions sociales, c’est augmenter les misères probables de son existence et c’est subir la tyrannie d’une idée fausse, que tout condamne, la raison, la philosophie, la religion et l’intérêt public. Les personnes dont la foi est fervente et qui pourvoient aux orphelins, à l’exclusion des enfans naturels, s’imaginent-elles que Jésus, lorsqu’il disait : « Laissez venir à moi les petits enfans, » se soit préoccupé de la légitimité de leur naissance ? Il ne faut fermer au bâtard, ni son cœur, ni sa porte, ni la route qui conduit aux devoirs et aux jouissances de la vie. Les argumens que l’on met en avant pour maintenir ces malheureux, dès le bas âge et l’école, en dehors du droit commun, pèsent bien peu en regard des périls où on les pousse. Plus leur berceau a été abandonné, plus la charité doit les entourer de sollicitude. Si la fille de Pharaon n’avait pas ramassé la barcelonnette cachée parmi les roseaux du Nil, les Hébreux ne seraient peut-être pas sortis d’Egypte. Et pour toucher un sujet que mon incapacité ne me donne pas le droit d’aborder, j’oserai dire : s’il s’agit de sauver des âmes, en quoi l’illégitimité de la naissance peut-elle y mettre obstacle ?

On peut croire que, tout en faisant ces réflexions, je ne les communiquais point aux frères directeur et sous-directeur qui voulaient bien m’accompagner pendant ma visite, ils m’auraient répondu : Nous nous conformons aux statuts déterminés par la duchesse de Galliera elle-même, et je n’aurais eu rien à répliquer. Les hommes avec lesquels je parcourais les classes, les dortoirs, l’infirmerie, les préaux, aiment les enfans, ce qui est la première des conditions pour les bien instruire et en être obéi. L’un d’eux a « fait l’école » aux pays étrangers ; il a vécu sous le soleil égyptien et près des glaçons que charrie le fleuve Saint-Laurent ; il me parlait des écoliers de France, auxquels il reconnaît une sorte de supériorité native qui ne porte pas tous les fruits que l’on en pourrait exiger. Il me disait : « L’enfant français est intelligent ; une fois que l’on a brisé la gangue qui l’enveloppe, on le trouve actif à comprendre, joueur, léger, espiègle, mais de cœur bien placé, ouvert et apte aux grandes choses. Malheureusement, les exigences de la vie s’imposent à lui de bonne heure, le « item faut vivre » le guette et le saisit, à l’instant où son développement va s’épanouir ; il est réduit au travail manuel et perd, faute de pratique, une grande partie des notions qu’il avait acquises sans difficulté. » A ma question : « Le