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femmes, les contemporains l’attestent, ont tout bravé, tout supporté pour consoler, pour sauver un mari, un père, un amant, même un inconnu. Paysannes, ouvrières, bourgeoises, grandes dames, filles des rois, elles exercent dans toute son étendue le divin ministère de la charité et du sacrifice. Madame Elisabeth défendant qu’on détrompât ceux qui, la confondant avec la reine, menaçaient, le 20 juin, de l’égorger ; — Mlle de Sombreuil arrachant son père des bras des massacreurs de septembre ; — Mme Bouquey recevant à Saint-Emilion les Girondins proscrits, en butte à toutes sortes de vexations, oubliant son danger et ne voyant que celui de ses hôtes ; — Mme Verney cachant pendant huit mois Condorcet, et répondant, lorsqu’il veut la quitter pour ne pas la compromettre davantage : « La Convention a pu vous mettre hors la loi, elle n’a pu vous mettre hors l’humanité, vous resterez ; » — Mme Lavergne criant : Vive le roi ! devant le tribunal révolutionnaire, afin de subir le sort de son mari ; — des femmes charmantes affrontant l’odeur pestilentielle des égouts pour adresser aux détenus des paroles de tendresse, et les avertir des démarches tentées en leur faveur ; — Mme Latour s’enfermant au Luxembourg avec le duc et la duchesse de Mouchy, suppliant qu’on la laisse avec ses maîtres, et offrant de se constituer prisonnière ; — la marquise de Montagu fondant l’Œuvre des Émigrés ; — la marquise de La Fayette partageant pendant plusieurs années la captivité de son mari à Olmütz[1] ; — les paysannes vendéennes dérobant intrépidement les Blancs aux perquisitions des Bleus ; — cette vieille duchesse, rudoyée par le guichetier qui l’appelle dans une fournée, répondant avec un sang-froid hautain : « On y va, canaille ! » — Mme de Noailles, au moment de montera l’échafaud, suppliant un autre condamné, un incrédule, de faire le signe de la croix et de se recommander à Dieu ; — mille traits admirables composent aux femmes de la fin du XVIIIe siècle une auréole de grandeur morale dont d’autres époques peut-être ont égalé, mais dont elles n’ont jamais surpassé l’éclat.


II

Pénétrons un peu plus avant dans l’intérieur de ces prisons, sépulcres animés, vestibules de la mort, d’où la fureur terroriste a banni, non l’espérance, mais les motifs raisonnables d’espérer. Selon les temps, selon les lieux, le régime diffère sensiblement : presque confortable dans certaines maisons, sévère et presque atroce

  1. Voir mon volume : les Causeurs de la Révolution, in-18 ; Calmann Lévy.