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d’un côté, le fauteuil du greffier avec ses registres et ses écritures ; de l’autre, les condamnés à mort ; ils demeurent là pendant ces heures éternelles qui séparent le jugement de l’exécution.


Le geôlier, la fermant avec tranquillité (la porte),
Entre eux et les vivans a mis l’éternité.


Du greffe, on passe, à travers d’énormes portes, dans des cachots appelés la souricière, où le jour pénètre à peine : pour litière, des pailles remplies de vermine, corrompues par le défaut d’air, et la puanteur des seaux ou griaches ; pour compagnons, des escrocs, des assassins auxquels il faut payer la bienvenue sous peine de mauvais traitemens, ou bien encore des rats qui parfois mangent la culotte du prisonnier. Heureux quand ils se contentent des vêtemens ! Les rats des prisons de Bordeaux avaient mordu Mme Tallien, et, aux beaux jours du Directoire, Notre-Dame de Thermidor, montrant à ses adorateurs ses pieds chaussés de la sandale antique, leur disait coquettement : « Si vous regardiez bien, vous verriez les dents des rats de Bordeaux. » Beaulieu passe trois nuits dans un de ces cachots, moitié assis, une jambe étendue sur un banc, l’autre posée à terre, le dos appuyé contre la muraille.

Les prisonniers sont aussi à la pistole, à la paille : les chambres des pailleux (ceux qui, n’ayant pas le moyen de payer le loyer d’un lit, couchent sur la paille) ne différent des cachots qu’en ce que leurs habitans doivent en sortir vers huit heures du matin pour y rentrer une heure avant la nuit ; là on les entasse comme un troupeau de moutons, le troupeau dont la mort est le pasteur. Les voilà donc forcés de se morfondre toute la journée dans la cour et les galeries circulaires. A Lyon, un prisonnier qui n’avait pu obtenir sa portion s’était couché sans murmurer sur le pavé humide et froid ; le concierge, faisant sa ronde, s’en aperçut et l’interrogea : « C’est faute d’adresse, répondit-il, je n’ai pu traverser la foule qui était grande. » — Sois mieux que tous les ambitieux, ordonna Brigalaud ; guichetier, donne-lui trois bottes ! » L’ambition consistait à se disputer quelques brins de paille.

Dans les chambres à la pistole, on paie le loyer des lits que l’on occupe : 27 livres 12 sous d’abord, puis 15 livres par mois pour un méchant grabat, avec un matelas « de l’épaisseur d’une omelette soufflée. » N’y passât-on qu’un jour, une nuit, le mois tout entier est exigible, et comme, dans les derniers temps, 40 ou 50 têtes tombaient tous les jours, la Conciergerie devient le premier hôtel garni quant au produit.

De l’argent, de l’argent, et encore de l’argent ! Voilà le refrain