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public et pâles imitateurs de la Grèce et de Rome, rhéteurs et sophistes d’une liberté abstraite qui ne ressemble guère aux libertés pratiques, aimables ignorans, gonflés de chimères, incapables de cohésion, de discipline, qui entrèrent dans la politique comme l’enfant entre dans la vie, comme le sceptique entre dans la mort, hommes d’imagination qui lançaient devant eux la multitude sans mesurer la force de l’instrument, sans calculer la portée de l’arme et qu’elle pourrait éclater dans leurs mains, qui, pendant leur passage au pouvoir, ne déploient aucune des qualités d’un parti de gouvernement ou même, d’un parti d’opposition, qui mettent leur âme dans un discours, flottent à la merci de tous les vents et ne savent même pas que la première condition du succès consiste à vouloir énergiquement, à agir avec décision, et qu’après tout enfin, c’est la force qui accouche les idées ; les Girondins, mis hors, la loi, vinrent à leur tour habiter les maisons de justice.

Michelet, Lamartine, ont suivi la trace des Girondins dans la prison des Carmes : ils ont lu leurs dernières pensées gravées avec la pointe des couteaux, écrites avec du sang ; toutes, disent-ils, respirent le sentiment de l’héroïsme antique, toutes attestent le génie stoïcien. Lamartine reconnaît même la main de Vergniaud dans cette inscription : Potius mori quam fœdari. Michelet, Lamartine, ont rêvé : les Girondins ont été écroués à l’Abbaye, à la Grande-Force, au Luxembourg, puis transférés, le 6 octobre, à la Conciergerie ; aucun n’a passé par les Carmes. A côté de cette fiction, la légende du dernier banquet des Girondins : lisez Lamartine, Michelet, Thiers, Nodier surtout, qui avait fini par y croire, si bien que Martainville lui disait plaisamment : « Tu abuses un peu de l’honneur d’avoir été guillotiné avec ces pauvres Girondins. » Certes, voilà un beau récit, plein de flamme, de verve éloquente ; mais, comme l’a si clairement démontré M. Edmond Biré, ce n’est qu’un roman. En revanche, ce qu’on oublia de rapporter, c’est qu’aux heures suprêmes, deux prêtres assermentés, l’abbé Lothringer et l’abbé Lambert, purent visiter en prison les condamnés : sept se confessèrent ; l’un d’eux, Fauchet, après s’être confessé, confessa lui-même Sillery ; Brissot s’abstint ; mais lorsque les autres demandèrent s’il croyait à la vie éternelle, il répondit que oui.

Plusieurs avaient sur eux le pain des proscrits, les pilules de la liberté, des pastilles de poison de Cabanis ; ils renoncèrent à en faire usage. Valazé s’était poignardé en plein tribunal ; Clavière, un peu plus tard, mourra, lui1 aussi, à la manière antique : ayant interrogé le peintre Boos sur l’attitude des personnages qui, dans les tableaux, se donnent la mort, il marque bien la place, et, rentré dans la chambre, sans jeter un cri, sans faire un