Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/662

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Tu vis deux fois ; tu vis en moi mieux qu’en toi-même,
Et plus haut, et plus loin des fanges, et plus haut,
Rêvant lorsque c’est l’heure ou riant lorsqu’il faut,
Et le meilleur de toi c’est encor que je t’aime.

Tu marches sur mes pas quand j’ai l’air d’être seul,
Belle sans vanités et tendre sans mensonges :
Si tu mourais, c’est nous qu’on mettrait au linceul
Et le plus pur de toi mourrait avec mes songes.


LA CITADELLE.


Si tu veux être grand, bâtis la citadelle :
Loin de tous et trop haut, bâtis-la pour toi seul ;
Qu’elle soit imprenable et vierge, et qu’autour d’elle
Le mont fasse un rempart et la neige un linceul !

Bâtis-la sur l’orgueil vertigineux des cimes,
Parmi les chemins bleus de l’aigle et de l’éclair,
Reine de marbre blanc dans une cour d’abîme,
Lis de pierre fleuri dans les splendeurs de l’air.

Si haut vers Dieu, si loin de ta fange première,
Si loin, si haut, que les cités, clignant des yeux,
Pensent voir un rayon de plus dans la lumière
Et ne sachent s’il vient de la terre ou des cieux.

C’est là qu’il faut bâtir l’asile de ton âme
Et pour que ton désir y soit la seule loi,
Que rien n’accède à lui de l’éloge ou du blâme,
Grave sur ton seuil blanc le mot magique : « Moi. »

Puis, cent verrous, et clos ta porte au vent qui passe !
Ferme tes quatre murs au quadruple horizon,
Et si le toit te pèse, ouvre-le vers l’espace
Pour que l’âme du ciel entre dans ta maison !