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mangé paraît douce et sucrée. Quoi qu’il en soit, c’est une marchandise de défaite, et ceux qui en possèdent assez pour pouvoir en donner sont sûrs de se créer des amis.

Le voyage des deux Mandingues, mari et femme, qui s’en vont acheter des kolas dans l’Anno, durera trois mois. Il faut faire des marches pénibles avec des charges de 25 ou 40 kilos. La femme emporte son ménage, ses ustensiles de cuisine, ses effets de rechange, quelquefois son enfant. En arrivant à l’étape, elle va chercher de l’eau qu’elle ne trouvera peut-être qu’à plusieurs kilomètres de là. Le mari s’est procuré du bois ; à peine de retour, elle fait la cuisine, la lessive. On est souvent retenu longtemps au même endroit ou par les pluies ou par les brigands qui interceptent les communications. En attendant des jours meilleurs, il faut gagner sa nourriture ; on vend des galettes de mil, de petits travaux de vannerie, on tisse, on fabrique des nattes. Enfin, les pluies ont cessé, les brigands ont disparu ; les deux pèlerins se remettent en route : « J’ai vécu de leur vie, disait le capitaine Binger. Je les admire, ces marchands qui pourraient servir de modèle à tout le monde par leur endurance et leur courage obstiné. Si à la fin de l’année ils ont gagné la somme nécessaire à l’achat d’un captif, leur situation s’améliore, ils sont trois à travailler. Si l’esclave meurt ou se sauve, tout le bénéfice de trois cents jours de fatigues inouïes est perdu. Mais ces noirs ne se découragent jamais ; ils recommencent, en disant : « C’est la volonté de Dieu ! »

Il y a presque partout en Afrique des races supérieures aux autres mieux douées, plus intelligentes, possédant le sens politique et qui se chargent de civiliser à la longue leurs voisins. Cette civilisation peut nous sembler fort rudimentaire ; elle a du moins l’avantage de s’adapter aux temps et aux lieux. Les Mandingues ne sentent pas le besoin d’avoir des journaux, ni des musées, ni une dette d’état, ni une chambre des députés, ni un grand opéra, et leurs griots sont à la fois leurs musiciens et leurs romanciers ; mais l’amour du mieux, l’esprit de progrès ne leur est point inconnu.

Kong, dont on aperçoit de loin les cinq grandes mosquées et leurs minarets pointant au milieu des bombax et des dattiers, est une ville ouverte, construite en pisé, aux toits plats, qui contient une population de 15,000 âmes. Ses ruelles étroites et tortueuses rayonnent autour d’une grande place de 200 mètres de côté, où se tiennent les marchés. Le commerce y est florissant, l’industrie y prospère. On y fabrique des cotonnades qui font prime dans toute la boucle du Niger et jusque sur la Côte d’Or, des coussabes blanches, agrémentées de broderies en bourre de soie, des couvertures, des voiles pour femmes, des bonnets, des pagnes de luxe. On y trouve jusqu’à 150 puits à indigo, qui font vivre un nombreux personnel. Les chimistes et les teinturiers de Kong obtiennent divers bleus. Ils extraient de terrains ferrugineux une sorte