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Noailles eut la commission expresse de ne rien laisser ignorer à Madrid. En vertu de cette instruction, une des plus tristes et des plus étranges peut-être qui aient été adressées par un ministre de la guerre à un général en chef d’une armée française, nos troupes étaient mises purement et simplement à la discrétion et sous le commandement des généraux espagnols. Maillebois recevait l’injonction de se conformer, à l’avenir, en toutes choses, aux plans qui lui seraient envoyés de l’état-major de l’infant, dont il ne devait plus se regarder que comme l’auxiliaire et le subordonné.

Avec quelle humiliation et quel désespoir Maillebois dut recevoir une communication de cette espèce, il est aisé de le concevoir ! L’ordre lui tombait des nues au moment, on peut se le rappeler, où il avait peine à se reconnaître dans la plus douloureuse et la plus difficile des situations. A peine remis du saisissement causé par la perfidie des Piémontais et par le désastre de son lieutenant à Asti, en butte lui-même aux plus injurieuses suspicions, ayant cessé presque tout rapport avec le camp espagnol, — où tous ses courriers étaient mis en quarantaine et où sa personne, s’il s’était présenté, n’aurait pas été en sûreté, — il avait dû se retirer avec toutes ses troupes au-delà du Tanaro, et les garder groupées autour de la position importante de Novi. De là, il ne recevait que des nouvelles affligeantes : c’étaient les Piémontais qui reprenaient, derrière lui, successivement, presque sans résistance Acqui, Casal, Valence, presque tout le terrain conquis l’année précédente ; puis c’étaient 30,000 Autrichiens envoyés par Marie-Thérèse qui arrivaient à marches forcées, chassant devant eux les Espagnols aussi prompts à leur céder la place qu’ils l’étaient naguère de courir sans précaution à leur rencontre : c’était le château de Milan aussi précipitamment évacué qu’il avait été occupé la veille. Un véritable cercle de feu se resserrait ainsi d’heure en heure autour de l’armée française, presque prisonnière dans ses positions. Et c’est dans ce moment critique où la moindre faute pouvait amener un désastre, qu’on lui enlevait la disposition de lui-même pour le mettre à la remorque d’une armée cent fois plus désemparée encore que la sienne, et soumise d’ailleurs (il ne le savait que trop par expérience) à tous les ordres fantasques qui pouvaient arriver de l’Escurial ou d’Aranjuez. Le pauvre maréchal, consterné, insista au moins respectueusement pour n’être en aucun cas obligé de s’éloigner de Novi, point central d’où il pouvait rester en relation à la fois avec la Lombardie et avec la république de Gênes notre alliée, et assurer, par le littoral de la Méditerranée, la liberté de ses communications avec la France. Cette réserve ne fut pas admise. « Le roi, écrivait en propres termes le comte d’Argenson, prend son parti de laisser plutôt couper ses communications avec la France que de se séparer des Espagnols. »