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n’aurait pas signé non plus le portrait suivant de la reine, si différent de celui qu’il avait tracé tant de fois-lui-même ; mais cette fois on avait affaire à un peintre résolu à voir tout en beau : « A l’égard de la reine, dit Noailles, elle me paraît avoir de l’esprit, de la vivacité, entend finement, répond juste, elle a une politesse noble. Je n’ai pas encore assez traité avec elle pour avoir pu approfondir son caractère ; mais, en général, je crois que l’on peut avoir excédé dans les portraits qu’on en a faits : elle est femme, elle a de l’ambition, elle craint d’être trompée : elle l’a été, ce qui lui donne de la défiance qu’elle pousse peut-être un peu loin, mais je crois qu’un homme sage et désintéressé, qui saurait gagner sa confiance, la ramènerait avec patience à ne prendre que des partis raisonnables. »

Ce n’eût pas été la peine d’être un correspondant intime si, après avoir parlé à l’esprit du roi, on n’eût touché aussi le cœur du père ; aussi, passant légèrement sur le prince des Asturies, « fort aimable à sa figure près, » et sur la princesse sa femme, « dont malheureusement le visage est tel qu’on ne peut le regarder sans peine, » c’est sur Madame, fille de Louis XV, qu’est concentrée toute la lumière du tableau : « Cette princesse est infiniment mieux que lorsqu’elle est partie de France. Rien n’égale l’amour des grande et des petits pour elle. Elle est, en effet, charmante, sa figure est très agréable, les plus beaux yeux du monde, le regard perçant et annonçant de l’esprit, bonne, franche, cherchant à plaire et à obliger, et, pour tout dire en un mot, Sire, c’est votre véritable portrait. » Voici enfin, le trait réservé pour le dernier comme le plus délicat : « Je ne puis finir le compte que j’ai rendu à Votre Majesté de la famille royale d’Espagne sans lui parler d’une princesse qui lui appartient de très près : c’est sa petite-fille. Jamais on ne vit une si jolie enfant : elle est très grande pour son âge ; son visage est des plus agréables, mais surtout, Sire, c’est son maintien et l’air de dignité : avec lequel elle reçoit son monde. Elle sent déjà ce qu’elle est, à qui elle appartient et ce qu’elle doit être un jour[1]. »

Ce que Noailles n’ajoute pas ou qu’il laisse du moins à peine entendre, même dans cette communication, c’est qu’une partie de la bonne grâce que la reine lui témoignait tenait à l’extrême liberté avec laquelle il s’exprima tout de suite sur le traité de Turin, comme sur le ministre qui l’avait conclu et sur le général qui avait été sur le point de l’exécuter. Il eût peut-être été imprudent de reprendre (comme ses instructions officielles le lui commandaient) une apologie tardive d’une manœuvre qui venait de si mal

  1. Rousset, t. II, p. 102, 206.