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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/792

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l’Empire. » Pense-t-on qu’en recevant ce refus hautain, d’Argenson ait été traversé par la pensée qu’il avait manqué une occasion qui ne reviendrait pas ? Nullement. On trouve seulement à la marge de la lettre qui rompait si brusquement tout pourparler, cette note de sa main : — « On voit de là combien la cour de Vienne croit avoir à craindre du roi de Prusse ayant la Silésie[1]. »

Sur ce point, d’ailleurs, l’unanimité d’opinion était complète, sinon parmi les politiques de Vienne, au moins dans l’entourage et dans le ménage impérial, car rien n’égalait l’irritation du nouvel empereur contre la France. Seulement, là comme partout, la différence des caractères de l’impératrice et de celui qui lui devait sa couronne était sensible. Car le sentiment qui partait chez la noble femme d’un courroux patriotique n’était chez son époux que le mesquin plaisir d’un ancien vassal de la France, heureux de se trouver l’égal de son suzerain, et en mesure de lui tenir tête. Il l’exprimait dans des termes qui auraient attesté à eux seuls la petitesse et la frivolité de son esprit, au marquis de Stainville qui continuait à représenter à Versailles le grand-duché de Toscane, et qui lui transmettait des paroles bienveillantes de d’Argenson. — « Point de rapports, écrivait-il, avec une cour qui ne veut pas me reconnaître comme empereur, excepté ceux qui seront nécessaires, pour m’informer des bagatelles qui peuvent être drôles, en fait de chansons, de vers et de toutes sortes de nouveautés pour me divertir[2]. »

Mais, si en Autriche la cour était unanime dans des sentimens belliqueux, en Angleterre c’était pis encore : c’était tout le monde, roi, parlement et nation qui ne respirait plus que la reprise des hostilités. La coïncidence de la défaite de Charles-Edouard et du désastre d’Asti avait exalté toutes les têtes : on était convaincu que les succès de Maurice de Saxe n’étaient dus qu’à l’absence de Cumberland et qu’il suffirait que le vainqueur de Culloden reparût en Flandre pour que sur ce théâtre, comme sur tout autre, un coup mortel fût porté à la puissance française. C’était contre le nom français une fureur qui faisait rage, non-seulement parmi les partisans triomphans de la dynastie protestante, mais plus encore,

  1. Extrait d’une lettre au comte de Loos, envoyé saxon à Vienne, au comte de Brühl, 17 avril 1746. (Correspondance de Vienne. — Ministère des affaires étrangères.) M. d’Arneth nous apprend que l’Angleterre, en transmettant à Marie-Thérèse les propositions de la France et de la Hollande, lui conseillait de céder la Toscane, mais se refusait, elle, à la restitution du cap Breton. Marie-Thérèse répondant, de son côté, par le conseil inverse, il n’est pas étonnant que l’affaire ne fit aucun pas, et il en sera ainsi pendant plus de deux ans encore. — (D’Arneth, t. XII, p. 230.)
  2. L’empereur François au marquis de Stainville (4 mai 1746). (Lettre interceptée : Correspondance de Vienne. — Ministère des affaires étrangères.)