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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/810

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d’or aux deux couronnes pour se débarrasser d’elles à quelque prix que ce fût, principalement dans la vue d’employer ensuite toutes ses forces contre moi et de me ravir de concert avec la cour de Pétersbourg mes conquêtes, aussitôt qu’elle aurait les bras libres. »

Les démarches affectueuses, presque suppliantes, de d’Argenson, qui auraient dû calmer coite méfiance, ne faisaient que l’entretenir ; car Frédéric ne croyait jamais à la bonne foi de personne, sachant trop bien ce qu’on était en droit de penser de la sienne. Aussi ne craignait-il pas de charger son ambassadeur, Chambrier, de tendre une sorte de piège au ministre français pour surprendre ses véritables pensées. — « Il me revient, écrivait-il, de bien des endroits que la cour de Vienne, piquée au jeu, a entamé des chipotages avec la France et vous devez tâcher de confier vous-même, en secret et entre quatre yeux, au marquis d’Argenson que le ministre de l’impératrice à Pétersbourg, le général Putlack, a laissé échapper que sa cour avait fait, ou était sur le point de faire sa paix séparée avec la France, qu’elle s’y était engagée au moyen de la cession du Luxembourg et de garantie à la maison d’Autriche de la Lombardie, et ne point s’opposer (sic) à ce qu’on reconquît la Silésie sur moi. Vous observerez la contenance du marquis d’Argenson quand vous lui ferez cette insinuation. » — La conscience de d’Argenson était assurément trop nette pour que Chambrier, en accomplissant cette instruction, eût aperçu dans sa contenance le moindre embarras. Frédéric ne fut pourtant pas complètement tranquillisé, car il continue à demander qu’on le tînt au courant de toutes les visites que le marquis de Stainville ferait au ministère des affaires étrangères, et à l’ouverture de la campagne, en envoyant à l’armée royale un officier de sa confiance pour assister aux opérations militaires, il lui recommandait d’avoir l’œil ouvert sur les chipotages de l’envoyé saxon, intermédiaire naturel entre la cour de France et celle d’Autriche[1].

Même préoccupation également visible dans ses rapports avec la Russie : la pensée qui revient constamment est celle d’un complot fait entre Elisabeth et Marie-Thérèse, par l’entremise du gouvernement saxon, pour l’attaquer dès que la paix avec la France sera faite. Cette crainte avait pris chez lui tellement le caractère d’une idée fixe que les envoyés anglais et hollandais, s’en étant aperçus et désirant toujours l’attirer de leur côté, ne négligeaient aucune occasion d’entretenir sa défiance. Le Hollandais en particulier, interrogé un jour par lui sur les raisons que la république

  1. Frédéric à Podewils, secrétaire d’état ; — à Podewils, le jeune, ministre à Vienne ; à Mardefeld, ministre à Pétersbourg, 1, 18 mai 1746 (Pol. Corr., p. 78, 94, 123, 127) ; — à Chambrier, 22 avril 1746. — (Ministère des affaires étrangères.) — Droysen, t. III.