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cela, un admirable buste appartenant à une statue malheureusement incomplète, celle qui a été dédiée à Athéna par un personnage nommé Euthydikos, fils de Thaliarchos[1]. C’est une des plus récentes de la série ; elle a certainement été exécutée fort peu de temps avant 480. Si les fouilles nous l’avaient livrée intacte, elle serait déjà populaire et compterait parmi les œuvres antiques dont les moulages, les réductions sont répandus partout. Ce qui en reste est bien fait pour augmenter nos regrets. La partie inférieure, seule conservée avec le buste, est un remarquable exemple du soin avec lequel les maîtres archaïques traitaient les extrémités. Rien de fin, de délicat comme ces pieds, dont les phalanges grêles, allongées et menues, la forme élégante et un peu maigre, donnent la sensation de je ne sais quelle grâce aristocratique. L’artiste qui a modelé ce morceau exquis et l’a caressé avec amour est bien de pure race attique ; on y reconnaît un des précurseurs d’Alcamènes, et le maître athénien n’avait sans doute pas exécuté avec plus de charme et de sobriété les mains, si souvent louées par les auteurs anciens, de la célèbre Aphrodite des Jardins. La tête n’est pas moins digne d’attention. Ce qu’il y a encore d’anguleux et de sec dans le visage des autres statues a disparu ici, avec l’obliquité des yeux et la saillie exagérée des pommettes ; la chevelure est aussi plus simple et encadre un front petit et droit, des joues aux contours pleins et fermes. En examinant ce buste avec toute l’attention qu’il commande, on est frappé, au premier abord, de l’expression boudeuse de la bouche : les lèvres, légèrement portées en avant, semblent faire la moue. On s’explique bien vite cette particularité. Le sculpteur a voulu rompre avec la tradition du sourire conventionnel ; il a abaissé, au lieu de les relever, les coins de la bouche, sans rien changer au reste, et, avec une gaucherie charmante, il n’a réussi qu’à donner au bas du visage une sévérité un peu dédaigneuse. Encore quelques essais, et il aura résolu le problème. À vrai dire, entre cette tête et les plus belles œuvres attiques du ve siècle, il n’y a plus que des nuances. Tous les caractères essentiels du grand art s’y trouvent déjà, et l’on peut pressentir que, quarante ans plus tard, sans s’écarter beaucoup des mêmes données, Phidias réalisera avec éclat, dans son Athéna Parthénos, le type achevé de la jeune fille athénienne.

La rapidité des progrès accomplis par la sculpture, dans la première moitié du ve siècle, n’a donc plus rien qui doive nous étonner : les précurseurs des grands maîtres leur avaient brillamment frayé la voie. Au point de vue historique, les fouilles de l’Acropole ont singulièrement modifié nos idées sur l’état d’avancement de

  1. Musées d’Athènes, pl. XVI.