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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/867

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Mais nous n’avons pas entrepris de dresser ici un inventaire. Aussi bien, il est temps de résumer l’impression générale qu’on emporte d’une visite attentive au musée des fouilles. Si l’on y va chercher les émotions que donnent les œuvres d’une beauté achevée, on risque fort de se ménager une déconvenue ; les marbres de l’Acropole ne livrent pas, de prime abord, le secret de leur séduction. Veut-on, au contraire, se donner le plaisir d’assister à réclusion d’un grand art ; sait-on se replacer, par la pensée, dans le milieu historique où ces œuvres ont été conçues et exécutées ? On sera bien vite sous le charme : on oubliera les inexpériences dont on est tenté de sourire pour ne plus voir que les qualités originales de cet art jeune et sincère. Faites la part des conventions, auxquelles tout art primitif a forcément recours ; faites même celle d’une certaine routine, à laquelle la sculpture archaïque n’échappe pas plus en Grèce qu’ailleurs ; vous sentirez qu’il y a dans ces conceptions plastiques de puissans élémens de progrès, et que toute la perfection de l’époque classique s’y trouve en germe.

Et nous ne parlons pas seulement de l’habileté professionnelle, de la science acquise par la pratique. Les artistes assyriens possèdent, aussi bien que les Grecs, le goût du fini, l’exécution scrupuleuse jusqu’à la minutie. D’où vient cependant que nous n’éprouvons pas, en face des dalles sculptées de Kouioundjik, cette même sensation de quelque chose de rare et d’exquis ? Pourquoi l’archaïsme grec nous donne-t-il seul l’idée d’un art capable d’aller beaucoup plus loin ? C’est que les vieux maîtres grecs ont un idéal supérieur à leurs œuvres, et qu’ils le poursuivent avec une sincérité profonde ; c’est qu’ils ont la volonté de pousser jusqu’à la perfection le petit nombre de types sur lesquels s’exerce leur activité. En sculptant ces figures de femmes aux attitudes solennelles, aux longs vêtemens plissés, aux gestes un peu contraints, au visage souriant d’un éternel sourire, ils ont la vision des formes les plus élégantes et les plus nobles. Mais les moyens d’expression trahissent encore leur pensée. Absorbés par le souci du détail, ils ne savent pas encore se dégager d’une certaine timidité, et user librement d’une science technique où ils sont déjà passés maîtres. Arrivé à ce point, l’art est mûr pour le progrès. Vienne le moment où l’esprit grec, exalté par les victoires des guerres persiques, pénétré d’une confiance orgueilleuse en lui-même, donnera libre cours à toutes ses audaces, ce progrès se produira avec une rapidité prodigieuse. Une génération nouvelle recueillera l’enseignement de ces précurseurs, et s’émancipera de la tradition trop étroite qui entravait l’essor de leur talent. Les grands sculpteurs du ve siècle siècle, Myron, Polyclète et Phidias, trouveront le terrain tout préparé.

Maxime Collignon.