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ne le distinguent pas du capitaliste. C’est à J.-B. Say que revient l’honneur d’avoir reconnu en lui un agent distinct de la production, et peu à peu les économistes de tous les pays, les Allemands d’abord, les Anglais en dernier lieu, ont admis l’importance du rôle de l’entrepreneur. On a même reconnu que ce n’est pas le capital qui est en lutte avec le travail ; un savant américain, M. Fr. Walker, a démontré, — on s’en doutait depuis longtemps, — que c’est l’entrepreneur et non le capital qui est en présence de l’ouvrier. Ce sont des intérêts en lutte directe, et en pareil cas chacun, — habituellement, — n’a raison qu’à moitié. Mais ce n’est pas sur ce point que nous avons à attirer l’attention, c’est sur les fonctions, on peut dire sociales, de l’entrepreneur. C’est lui qui crée et multiplie les occasions de travail, c’est lui qui prend l’initiative de la production, qui la dirige et la fait aboutir, c’est lui qui a soin d’approvisionner la consommation, car c’est en vue des besoins à satisfaire qu’il travaille, et c’est en rendant des services qu’il s’assure un bénéfice. Grâce à l’entrepreneur, les besoins multiples de l’homme vivant en société se satisfont exactement et pour ainsi dire automatiquement. Et pourtant sa récompense est chanceuse ; s’il a mal calculé, après avoir payé les salaires, la rente, les intérêts, il ne lui reste rien ; il court tous les risques de l’affaire ; aussi, quand elle réussit, sa part, les bénéfices, constituent un gain parfaitement légitime ; ils sont entièrement à lui.

Il nous reste à toucher encore à un point, l’impôt, matière que l’économie politique moderne a beaucoup étudiée, — non sans découvrir quelques vérités nouvelles. Indiquons sommairement les principaux points où il y aurait un progrès à noter. L’obligation générale de contribuer aux dépenses de l’État a été reconnue de tout temps ; mais certains publicistes insistaient sur le rapport qui devait exister entre le montant de l’impôt et les services rendus par l’État. Dans ce système, l’impôt du citoyen et les services de l’Etat s’échangeaient, pour ainsi dire, valeur égale contre valeur égale. Mais ce système n’a jamais fonctionné, celui de l’impôt-assurance non plus. La science a eu raison de simplifier ses doctrines sur ce point. On s’est borné à dire : le citoyen doit payer sa part des dépenses de l’État, c’est un simple devoir qu’il remplit et qu’il serait forcé de remplir s’il manquait de bonne volonté. La nouvelle théorie qui se pique d’être réaliste (c’est ainsi qu’elle se désigne en Allemagne) déclare simplement que le premier principe pour l’État est d’équilibrer son budget. Il consultera la justice s’il peut, et tant que cela ne le gênera pas ; mais si la situation financière l’exigeait, on passerait, les yeux fermés, à côté de la justice.

Il faut, en effet, que l’État joigne les deux bouts, et en réalité, c’est là sa première préoccupation ; il prend son bien où il le trouve ;