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Bismarck qui mène la campagne ; c’est le jeune empereur Guillaume II lui-même qui intervient dans la mêlée, à la veille des élections, par des rescrits adressés : — l’un au ministre du commerce, pour mettre à l’ordre du jour les problèmes les plus sérieux, les plus délicats de socialisme économique et industriel, — l’autre au chancelier, pour provoquer la réunion d’une conférence internationale appelée à délibérer sur toutes ces questions du travail. A dire vrai, dans ces manifestations un peu imprévues, dans cette intervention d’un jeune prince impatient d’action, tout est peut-être assez étrange, et la hardiesse de cette initiative souveraine et la forme sous laquelle elle se produit.

Si ces derniers rescrits qui ont retenti en Europe comme en Allemagne n’étaient qu’un simple expédient électoral destiné à neutraliser les socialistes et à rallier la population ouvrière au gouvernement, ils risqueraient en vérité d’aller contre leur but. Les chefs socialistes peuvent au contraire y trouver une force de plus en montrant par ces rescrits eux-mêmes à leurs partisans, aux ouvriers, aux masses populaires la puissance de leur cause, la justice de leurs revendications et de leurs griefs. Électeurs et candidats socialistes peuvent se prévaloir des aveux et des promesses du souverain en allant au scrutin du 20 février. Si en dehors de tout calcul électoral, l’empereur Guillaume II n’a obéi qu’à l’inspiration généreuse et désintéressée d’un esprit impatient de répondre aux aspirations populaires, « d’améliorer la situation des ouvriers, » comme le disent les rescrits, c’est d’un réformateur bien intentionné assurément ; c’est peut-être aussi d’une imagination un peu vive, un peu brouillée avec la réalité des choses. Prétendre régler d’autorité, entre quelques fonctionnaires ou délégués réunis sous la présidence de l’empereur lui-même, toutes ces questions du taux des salaires, de la limitation des heures de travail, des assurances, des retraites, des relations entre patrons et ouvriers, — prétendre régler toutes ces questions dans un seul pays comme l’Allemagne, c’est déjà beaucoup, certainement. Appeler les plus grandes puissances industrielles à se réunir pour délibérer sur de tels problèmes, pour adopter des règles communes, pour chercher ensemble les moyens de « donner satisfaction aux besoins et aux désirs des ouvriers, » c’est bien plus compliqué encore, on en conviendra : c’est assez chimérique, par cette raison bien simple que toutes ces puissances qu’on veut réunir diffèrent par leurs mœurs, par leurs intérêts, par leur état social, par leurs aptitudes industrielles. M. de Bismarck avait bien senti, il y a quelques années, toutes ces difficultés qu’il jugeait insolubles et devant lesquelles il s’était arrêté. Le congrès du travail de l’empereur Guillaume rappelle un peu les congrès que l’empereur Napoléon III avait toujours à proposer pour régler les affaires de l’Europe, et qui n’ont malheureusement jamais eu une brillante fortune. Mais, ce qu’il y a peut-être de plus curieux dans ces