mais comment déplorer la chute des ministres, quand ils ont pour programme de désorganiser les services publics ? Les hommes qui ne pardonnent point à la droite d’avoir amené la chute du cabinet Rouvier lui passent volontiers d’avoir jeté bas le cabinet Floquet ; et cependant, en tant qu’opposition, le renversement du cabinet Floquet a peut-être été la plus grande faute de la droite dans la dernière chambre. N’eût-elle écouté que ses intérêts de parti, elle n’eût jamais appelé les opportunistes et M. Constans à diriger les élections.
Puisse l’avenir ne pas trop ressembler au passé ; mais à quoi bon les illusions ? Alors que les différentes coteries de la majorité montrent si peu de scrupules à se culbuter les unes les autres, comment s’étonner que les députés de droite, traités ostensiblement en ennemis, décimés par les invalidations, éconduits des bureaux de tous les ministères, traqués dans leur département par toute la gent administrative, cèdent à la tentation de rendre aux ministres les affronts ou les blessures qu’ils reçoivent de leurs préfets ? Veut-on que l’opposition ait plus de ménagement pour le gouvernement, le gouvernement doit en avoir davantage pour l’opposition. La parabole de l’autre joue n’a jamais été de mise dans la politique. Pour un réaliste, un parlement ne peut se concevoir que de deux façons : comme une salle d’escrime où, devant le public, les partis se livrent des assauts avec des fleurets parfois démouchetés ; ou comme une bourse politique où des courtiers, plus ou moins honnêtes, échangent des services au comptant ou à terme. Dans les chambres, comme dans les chancelleries, on pratique d’habitude la maxime du do ut des. D’un parti auquel on ne laisse rien espérer, un gouvernement ne peut attendre que de l’opposition. Demandez à M. de Bismarck ce qu’il attend des progressistes ?
Nous avons connu un ministre qui ne craignait pas de témoigner quelque complaisance aux députés de l’opposition. C’était le général Boulanger. Ainsi a commencé le rapprochement entre la droite et le général qui a rayé les princes des cadres de l’armée. Tel a été le point de départ de la plus coupable erreur de la minorité. L’alliance, ou, comme on dirait à Berlin, le cartel de la droite avec le boulangisme ne s’est cependant pas conclu à la chambre, de propos délibéré, sur un signe des chefs parlementaires ou extra-parlementaires. Le courant y poussait ; il y avait, d’une mer à l’autre, comme un coup de vent dans ce sens. L’impulsion spontanée des électeurs y a peut-être eu plus de part que les calculs des politiques.