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trois quarts de siècle pour les rallier, définitivement, à l’ordre de choses issu de la révolution de 1688. C’est petit à petit, presque insensiblement, et non tout à coup, par de brusques conversions à la saint Paul, que s’opèrent de pareilles évolutions. Ce qui change le moins facilement, dans les luttes politiques, c’est peut-être les noms de partis. On en a vu survivre des siècles à leur sens primitif. Quand, au terme de conservateurs, les membres de la droite accoleraient le nom de républicains, ce dernier tomberait bientôt, ne fût-ce que pour distinguer ces républicains conservateurs, des républicains, sans épithète, des anciens, des vrais, car, pour l’électeur, un républicain conservateur ne sera jamais qu’un républicain de second degré.

Une autre raison rend difficile aux conservateurs de s’afficher comme républicains, c’est que leur clientèle, de toutes classes, garde des défiances contre la république. Les partis ont leurs préjugés dont leurs chefs ne sont pas toujours libres de faire fi. Or, le préjugé antirépublicain est encore vivant dans nombre de familles. Au lieu de le diminuer, tout ce qu’a fait la république, depuis douze ans, l’a fortifié. Le boulangisme ne l’a point entamé. Loin de là, plus d’un conservateur se permet de trouver le moment mal choisi pour sommer la droite de reconnaître l’intangibilité de la république. « Comment, disent ces esprits mal faits, c’est au lendemain du jour où les républicains nous ont déclaré la république en péril, c’est après nous avoir montré, durant des mois, leurs doutes et leurs anxiétés, qu’ils nous convient à faire acte de foi dans l’éternité de la république ! » Ce qu’on demande, en effet, aux conservateurs, si c’est autre chose qu’une vide formalité, c’est bien un acte de foi, et, pas plus en politique qu’en religion, la foi ne s’impose. La république veut-elle convertir les incrédules ; elle ne peut le faire que par des années de bon gouvernement.

Si la défaite du boulangisme a montré la force de la république, l’apparition du boulangisme en a montré la faiblesse. On se dit que les républicains pourraient rencontrer, un jour, des Boulanger mieux trempés. En tout cas, ce honteux et morbide phénomène a, dans certains milieux, accru les répugnances contre le régime d’où il est sorti. Car, il n’y a pas à le nier, le boulangisme est bien un produit de notre forme de gouvernement ; c’est une excroissance républicaine. On n’imagine pas de Boulanger sous une monarchie. Il faut, pour cela, que la première place de l’état soit à prendre et, pour ainsi dire, au premier occupant. Qu’est-ce, au fond, que le boulangisme, si ce n’est une vérification de la vieille loi de l’histoire qui de la démocratie fait naître la tyrannie ? Pour le démontrer, il n’était pas besoin d’un savant et subtile historien, comme M. le duc de Broglie. La venue de l’aspirant dictateur était écrite dans les astres ; le sort