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et beaucoup d’autres qui, à cause de leurs talens et de leur mérite personnel, principe déterminant du souverain à cette époque, étaient élevés aux premières dignités et se sont continués par des descendans également illustrés au service du pays. Il avait déjà rempli des missions ; il avait été envoyé vers Lautrec, qui faisait l’expédition de Naples, et Dodieu, ambassadeur à Florence, écrivait au roi le 6 novembre 1528 : « Vous avez entendu par M. de Castillon comme les choses se sont passées par-deçà. » Une première fois, en 1533, il avait remplacé à Londres l’ambassadeur Jean de Dinteville auquel le roi accorda son congé « pour faire un tour chez lui et donner ordre à ses affaires ; » sa mission avait été de courte durée, et sur les comptes de 1534 on trouve que sa femme, Anne de Saint-Marsault, a touché pour lui sur son traitement, à raison de 20 livres par jour, 1,460 livres. Cette fois il allait dans une circonstance importante succéder à M. de Castelnau, évêque de Tarbes, après Gramont.

Au moment où Castillon arrivait en Angleterre, Henri VIII gouvernait par lui-même. Depuis quelques années déjà, sous l’influence d’Anne Boleyn, il avait disgracié Wolsey, ce ministre qui, devançant de cent ans Richelieu, avait au profit de son maître abaissé les plus hautes têtes de l’aristocratie, ce qui dans le drame de Shakspeare lui vaut cette apostrophe de Surrey : « Vice revêtu d’écarlate ! » Nous attendons encore le Shakspeare qui jugera notre grand cardinal. Mais la politique avait survécu au ministre, et si elle était absolue à l’intérieur, vis-à-vis de François Ier et de Charles-Quint elle consistait dans un jeu de bascule. Le roi d’Angleterre s’efforçait de maintenir la mésintelligence et le désaccord entre les deux souverains rivaux pour vendre son alliance à chacun successivement et, de la sorte, les dominer. Castillon, dans une de ses dépêches, caractérise ainsi cette politique : « Il veut chevaucher l’un et mener l’autre en main. » En 1529, il avait fait payer fort cher son alliance au vaincu de Pavie qui désirait ardemment la liberté de ses enfans détenus en otage à la suite du désastreux traité de Madrid ; mais en 1537 le roi de France refusait de passer sous les fourches caudines de celui qui l’appelait « son mieux aimé frère, bon compère et perpétuel allié. » La rivalité et les guerres continuelles de l’empereur et du roi très chrétien donnaient beau jeu à cette politique. Charles-Quint poursuivait avec une opiniâtreté implacable la réalisation de la monarchie universelle, qui, depuis le mariage de Marie de Bourgogne avec Maximilien d’Autriche, accompli par la faute de Louis XI, était une menace pour la France, et François, au milieu de ses légèretés, s’obstinait dans cette idée juste et vraiment française de ne pas laisser sans contrepoids la puissance d’un monarque qui pouvait