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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/161

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dépenser ailleurs « ses 10 francs par jour, car ils vont ici en pain et en vin ; » il demande à être porté à 15 francs parce que de Bayonne, par le temps qui court, il est payé « en belles gambades, » et que, pour garder l’honneur de son maître, il est journellement obligé de perdre son argent avec les ducs et les grands seigneurs anglais. Le cardinal de Tournon, revenant de négocier à Rome, est obligé de solliciter du roi la permission de faire couper cent arpens de bois de son abbaye de Ferrières afin de subvenir à la dépense de ce voyage ; cette coupe faisant l’objet d’une difficulté entre la duchesse de Ferrare, qui avait la seigneurie de Montargis, et le cardinal, ce sage et fin diplomate lui écrit qu’il aimerait mieux la servir toute sa vie que d’être en différend avec elle pendant une heure. Outre qu’elles étaient coûteuses, ces missions avaient pour les évêques l’inconvénient de les éloigner de leur diocèse et de présenter des conditions matérielles difficiles. Mais les difficultés matérielles étaient surmontées chez ces hommes par un grand dévoûment au roi et au pays.

Ce fut vers la fin de février 1539 que Castillon quitta l’Angleterre, où il avait séjourné environ un an comme ambassadeur ; son départ fut précipité et inattendu, ce qui fit croire à une rupture avec la France et jeta l’alarme chez les Anglais. Henri profita habilement de la panique et ordonna de grands préparatifs de défense ; il fit élever le long de la mer des remparts qui furent armés de grosse et menue artillerie pour empêcher une descente sur la côte ; il prescrivit la levée de tous ses sujets, sans exception, âgés de plus de dix-sept ans ; des montres et revues eurent lieu dans toutes les villes ; on réorganisa les tirs à l’arc dans les paroisses, on équipa tous les navires de l’État et ceux des particuliers que l’on réquisitionna, enfin on établit des postes chargés d’observer tout ce qui venait du côté de la France. Ces terreurs se calmèrent au bout de quelque temps à l’arrivée d’un nouvel ambassadeur du roi très chrétien, qui fut Marillac. De nos jours, une pareille panique vraie ou feinte a donné lieu en Angleterre aux mêmes démonstrations et à des mesures semblables. Nos voisins d’outre-Manche savent bien que depuis Guillaume le Conquérant leur pays n’a rien à craindre d’une invasion et que le mot d’Henri : « J’ai de bons hommes et de bons fossés » est toujours vrai ; mais la terreur imaginaire servait à obtenir des subsides que le Parlement n’aurait pas accordés si l’opinion publique n’eût pas été surexcitée par un prétendu danger. Le canal qui sépare Douvres de Calais, « la bande d’argent, » suivant une expression qui leur est propre, resta pour eux « le fossé » protecteur d’Henri VIII, auquel on ne saurait toucher sans les alarmer, et dans une discussion récente à propos d’un pont