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heure un tempérament de procureur général et l’ayant toujours gardé, « dictateur, » comme a très bien dit M. Taine, il n’était nullement légitimiste par sentiment de fierté et d’amour. Il n’avait aucunement l’âme royaliste. Un état politique où lui, ou bien, si l’on veut, un homme comme lui, eût une part d’influence respectée, consacrée et inattaquable, où nulle puissance ne pût le toucher dans sa chaire de professeur, sur son banc de député ou sur son siège de magistrat inamovible, c’était ce que son caractère exigeait. Et, d’autre part, assez paresseux, fuyant les tracas et les responsabilités du pouvoir avec un soin extrême, ce n’était point par la participation à la puissance exécutive qu’il pouvait songer à satisfaire ses instincts de commandement. Restait donc bien qu’il fût un « parlementaire, » un homme qui veut, non pas le grand pouvoir du ministre dirigeant, mais le pouvoir, plus restreint en son action, aussi absolu et plus absolu dans sa sphère étroite, du magistrat, du député inviolable, que sais-je ? de l’homme qu’un droit, inscrit dans la constitution, protège, défend, et maintient dans l’exercice d’une certaine autorité. Si quelqu’un a dû rêver de l’institution des sénateurs inamovibles et désiré y figurer, c’est bien lui.

Voilà pour son libéralisme et pour sa manière de comprendre le mot de liberté. Pour ce qui est de son légitimisme, il vient de la même source. Si les libertés sont des droits constitutionnels dont profitent certaines classes de citoyens pour exercer un certain pouvoir, il est bien sûr que ces droits ne seront véritablement et efficacement garantis que par un droit aussi, un droit supérieur et unanimement respecté, dont la présence, le passé surtout, et la longue autorité traditionnelle, habituent la nation à vénérer et à maintenir par son respect même les droits inférieurs et de second ordre. Si la royauté est une délégation populaire, à plus forte raison tous les pouvoirs et toutes les autorités le sont aussi ; si la royauté est l’effet d’un coup de fortune, et le trophée d’un soldat heureux, ou le butin d’un intrigant habile, elle n’est plus qu’une aventure, et tous les pouvoirs et autorités d’ordre inférieur sont des accidens.

Un état, donc, où la royauté soit un droit et ne soit pas le seul droit, pour qu’il y ait des droits pour d’autres ; soit un pouvoir, et ne soit pas le seul pouvoir, pour qu’on puisse être puissant au-dessous d’elle, sans la courtiser : c’est l’état social où Royer-Collard aime à vivre.


I

On dit qu’il trouva un jour un volume de Thomas Reid sur les quais, et qu’en l’ouvrant il vit que sa philosophie était dans ce