Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cet hommage, pour la sauver. Il avait un libéralisme de vieux parlementaire attaché aux grandes institutions françaises, et eu acceptant quelques-unes de nouvelles, et voyant, avec raison, dans les unes et les autres, des garanties de liberté, mais y voyant toute la liberté et ne concevant point et n’aimant point à entendre dire qu’elle fût ailleurs.

C’est pour cela, et, comme je l’ai dit, qu’il ne cherche jamais, pour y rattacher sa doctrine libérale, un principe philosophique ou moral, et que ses « libertés » ont quelque chose d’interminé, de mal délimité et de flottant. Il a pu varier singulièrement, quelquefois, sur la part à faire à une de ces libertés publiques, sans être inconséquent, pour cette raison. Par exemple, il se montre très coercitif à l’égard de la presse au début de la Restauration, et très libéral à son endroit vers la fin du règne de Charles X. C’est que, pour lui, la liberté de la presse n’est pas un droit, rattaché, je suppose, à la liberté de penser, à la liberté de croire, à la liberté d’être un être intelligent ; ce n’est pas un droit, c’est un pouvoir ; c’est une force, tout simplement, qui se trouve là, à la place de laquelle il pourrait y en avoir une autre, mais qui est là, et dont il peut être bon, dont il est bon de se servir pour limiter la souveraineté du monarque ou la souveraineté du parlement. Si elle n’est que cela, certes, elle est considérable, et il y tient ; mais elle n’est pas sacrée, et il a, selon les circonstances, en considération du bien, général de l’Etat, le droit de lui laisser toute sa puissance, ou de lui en ôter, s’il le peut.

Ces systèmes tout pratiques sont tout simplement des systèmes de circonstance, et ce n’est point, tant s’en faut, pour les mépriser que je leur donne ce nom, surtout quand ce que j’appelle une circonstance est une période de l’histoire d’une trentaine d’années. Il convient de louer, au contraire, Royer-Collard d’avoir, il me semble, plus précisément et avec plus de pénétration que personne, vu juste ce qu’il fallait croire et dire en politique de 1815 à 1840. L’immense autorité qu’il a possédée en ce temps-là tient principalement à cette cause. Il est homme d’ancien régime et de légitimité d’une manière très intelligente, et homme de liberté d’une manière très sagace, avec beaucoup de mesure et de tact. Au fond, ou plutôt par l’ensemble de sa doctrine, sinon par le fond de son caractère, Royer-Collard est un Ronald qui, parce qu’il n’est point passionné, raisonne et conclut mieux que Ronald. J’ai fait remarquer que Ronald, autoritaire (Royer-Collard l’est aussi), légitimiste (Royer-Collard l’est aussi), n’ayant point une « philosophie libérale », (Royer-Collard non plus), avait toujours raisonné de la ; façon suivante : Je suis homme d’ancien régime ; — il y avait mille