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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/187

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Des deux parties de la tâche, Royer-Collard a trop borné à une seule son activité, et attaché à une seule sa foi.

A la vérité, celle à laquelle il s’est appliqué, il l’a menée avec une singulière force de volonté, et une netteté admirable d’intelligence. C’est surtout à la théorie et à l’analyse du gouvernement parlementaire qu’il s’est consacré. De tous les pouvoirs limitateurs c’est celui-là qu’il s’est obstiné et à maintenir, et à bien comprendre, et à délimiter sûrement. C’était voir et toucher le point juste. Car si les craintes de Royer-Collard sur l’avenir de la liberté en France, et sa quasi-désespérance à cet égard, sans pouvoir être admises, à mon avis du moins, auraient une forte apparence d’être justes et trouveraient un fondement, ce serait bien dans le cas où le gouvernement parlementaire disparaîtrait, et même dans celui où le gouvernement parlementaire, changeant de nature en changeant, de forme, serait constitué d’une manière définitivement très différente de celle dont Royer-Collard voulait qu’il le fût. La plus pénétrante et solide et prévoyante doctrine sur le gouvernement parlementaire, c’est bien dans Royer-Collard qu’il faut la chercher.

Mieux que personne, il a bien vu que le gouvernement parlementaire était la plus solide garantie de liberté qu’un peuple pût avoir ; et que le gouvernement parlementaire pouvait devenir, à n’être pas constitué d’une manière normale, un despotisme aussi rude que tout autre ; et la manière enfin dont il fallait qu’il fût organisé pour remplir sa fonction et ne pas dégénérer en son contraire. Il a montré que tout gouvernement qui n’est pas sincèrement parlementaire ne peut être que despotisme, par une sorte de fatalité, et eût-il les meilleures intentions de ne l’être point, et que c’est le pire des sophismes que d’opposer le parlement au peuple en persuadant à celui-ci qu’il peut exprimer son vœu, manifester sa volonté et la réaliser autrement que par celui-là. Il a, sinon détruit, du moins poussé à bout la chimère du gouvernement direct et du régime plébiscitaire, aussi vaine qu’elle peut paraître séduisante, et montré que ce régime ne peut être, ou que la soumission continue à un pouvoir qui feint d’être contrôlé, et par conséquent un despotisme hypocrite, ou que la violence dans l’instabilité, et par conséquent l’anarchie. — Et, d’autre part, personne n’a mieux vu, en un temps où le despotisme paraissait ne pouvoir venir que du silence des assemblées et non de leur existence, que le gouvernement parlementaire peut, lui aussi, devenir un despotisme, qui, pour n’être pas monarchique, n’en est ni : moins inique ni moins pesant. Il a voulu deux chambres très différentes de nature et d’origine pour que jamais l’une ne pût, en l’absence de toute force égale à elle, concentrer tout pouvoir social, se considérer comme