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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/216

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doublement sienne. Salammbô a peut-être un peu moins de voix que Brunehild, mais elle a encore plus de talent, plus de noblesse et de sérénité, plus encore de cette grâce sérieuse et un peu étrange qui nous ravit et nous inquiète à la fois. Les autres interprètes ont fait de leur mieux, et pour quelques-uns, M. Renaud, par exemple, qui joue Hamilcar, M. Vergnet dans le rôle du grand-prêtre et M. Bouvet, dans le rôle effacé et inutile de Spendius, ce mieux est le bien. Mme Caron, M. Bouvet, M. Vergnet, hélas ! sans parler de M. Reyer lui-même, tous transfuges de chez nous ! L’orchestre de la Monnaie n’est plus dirigé par M. Dupont ; on s’en est un peu aperçu. Quant au théâtre lui-même, il est dirigé par des administrateurs intelligens et courtois, auxquels nous sommes heureux, avec tous les Parisiens qui ont été leurs hôtes, d’adresser nos félicitations et nos remercîmens.


La place nous manque pour faire plus que féliciter un autre directeur de théâtre, Français celui-là, M. Porel, qui a donné une quinzaine de fois à l’Odéon l’Egmont de Goethe et Beethoven. On connaissait en France la partition, exécutée souvent au Conservatoire, où elle était accompagnée de strophes explicatives. Quant au drame, il fut récemment arrangé (vous savez ce que cela veut dire) pour l’Opéra-Comique, par MM. Wolff et Millaud. Un de nos confrères les plus écoutés a traité de « bel opéra » cette adaptation, ou cette parodie. Un autre, non moins écouté, a reproché à M. le directeur de l’Odéon d’accueillir trop de pièces exotiques. Il faut en conclure que l’original d’Egmont a semblé très inférieur à la contrefaçon, et que le théâtre de Goethe peut nous intéresser juste autant que le théâtre annamite. Tel a paru le sentiment général, et je n’ai pas ici qualité pour le contredire, ou le discuter seulement. Goethe, paraît-il, n’était pas homme de théâtre, et puis son Egmont n’est pas amusant. Le jour où nous l’avons entendu, d’aimables voisines de loges parlaient tout haut toilette et cuisine, pendant que l’orchestre jouait la Mort de Claire, quarante mesures qui sont parmi les plus belles de toute la musique dramatique. Mais, encore une fois, nous n’avons aujourd’hui ni la mission de défendre Goethe, ni le loisir d’admirer Beethoven. Si nous parlons un jour ici, comme nous en avons le dessein, de l’Héroïsme dans la musique, l’occasion sera plus favorable pour analyser le fier et doux chef-d’œuvre. Oublions en attendant de quelle triste manière la pauvre Claire a balbutié ses deux adorables chansons. Oublions aussi qu’à la répétition générale l’excellent orchestre de M. Lamoureux a joué un peu trop lentement le second entr’acte. Nous nous étions permis d’en faire humblement la remarque. Le chef impérieux avait mal pris l’observation ; mais il en a tenu compte.


CAMILLE BELLAIGUE.