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doute lui rendre un meilleur office que de la ramasser ou de la résumer tout entière en un seul volume. Grâce à M. Louis Molines, il ne tiendra désormais qu’à ceux qui ne connaîtraient pas Alexandre Vinet, — j’entends le critique et l’historien de la littérature, — ou qui le connaîtraient mal, de le mieux connaître ; et j’ose les assurer, sur ma propre expérience, qu’ils ne s’en plaindront pas.

Car il est mal ou peu connu en France ; et c’est une chose assez singulière que Sainte-Beuve lui-même, ayant saisi toutes les occasions qu’il pouvait de le louer, n’ait rien fait que de précaire pour la réputation d’un ami qui fut quelquefois son maître. Un autre critique, Edmond Scherer, en louant Vinet à son tour, a cherché les raisons de cette indifférence, et il a cru les trouver dans cette observation, assez désobligeante pour nous,


Qu’eût-il eu, par ailleurs, cent belles qualités,


Vinet aurait le tort, à nos yeux, d’être chrétien, protestant, et Suisse. Il y avait ainsi chez Edmond Scherer, on se le rappelle peut-être, une intrépidité d’affirmation dans le paradoxe tout à fait remarquable, comme encore quand il commençait un jour un article sur les Sermons de Bossuet par ces paroles dignes de mémoire : « Le sermon est un genre faux ; .. » et qu’il continuait en ces termes : « J’entends par genre faux celui dans lequel on ne peut ni penser, ni dire juste… » On avouera du moins que, dans le pays où leur qualité d’étrangers, et de Suisses, bien loin de leur nuire, a plutôt servi la gloire de Jean-Jacques Rousseau et de Mme de Staël, il serait bien étonnant qu’elle eût empêché Vinet de « prendre place dans notre littérature, » et ses œuvres d’y « atteindre le rang » que leur mérite « semblait devoir leur assigner. » Et, aussi bien, tout récemment encore, ce que Scherer n’avait pas pu pour Alexandre Vinet, ne l’avons-nous pas vu le pouvoir lui-même pour Henri-Frédéric Amiel, pour son Journal intime, pour l’inoffensive, précieuse, et déplaisante personne de cette contrefaçon de rêveur ?

Il n’est pas plus vrai de dire qu’étranger de naissance et d’éducation, le « protestantisme » de Vinet nous le rende encore plus« étrange et étranger. » Mais plutôt ce que l’on pourrait prétendre, c’est, qu’en voulant accaparer Vinet pour eux seuls et en ne séparant pas en lui le théologien du critique, quelques protestans ont failli nous faire croire que la critique de Vinet, qui n’en est qu’à peine une conséquence, était une forme de sa théologie. En écrivant ; ceci, je songe au rédacteur de : l’article Vinet dans la dernière Encyclopédie des sciences religieuses ; et je crains que M. Louis Molines lui-même, dans son livre, n’ait encore