Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un long apprentissage est aussi nécessaire que celui qu’on demande à ceux qui sont chargés de confectionner une paire de bottes. » La comparaison n’est peut-être pas des plus relevées ; elle n’est que plus significative. Assurément, s’il y avait eu dès l’origine un gouvernement, il aurait aussitôt jugé de haut cet incident inattendu ; il ne lui aurait pas laissé le temps de grandir, il en aurait fini dès le premier soir en ramenant à la frontière le brillant conscrit qui venait réclamer sa place dans l’armée française. On a hésité et c’est la première faute. On a laissé s’engager un procès qui était déjà une complication et où M. le duc d’Orléans s’est naturellement montré ce qu’il est, un jeune prince au cœur ému de patriotisme, impatient de servir son pays, risquant avec une bonne grâce chevaleresque sa liberté. Il n’a pas marchandé avec ses juges, il s’est livré tout entier avec la franchise de ses vingt ans. La condamnation a été prononcée : c’était encore une occasion d’en finir et il paraît bien qu’on en a eu la pensée. La grâce, une grâce immédiate, sans condition, répondait sûrement aux vœux de M. le président de la République, — elle était même, dit-on, déjà décidée et arrêtée ; mais voilà où la débâcle a commencé ! M. le président du conseil, avant d’aller plus loin, a voulu prendre l’air du Palais-Bourbon, « aller causer familièrement avec ses amis, » comme il le disait hier. Il s’est vu aussitôt assailli par les clabauderies radicales et le cœur ministériel s’est glacé, on n’a plus osé ! non, on n’a plus même osé avouer qu’on avait eu cette pensée de rendre la liberté à un jeune homme coupable d’avoir voulu être un soldat de la France. Et alors qu’a-t-on fait ? On a procédé en vérité comme dans un complot. On est allé nuitamment réveiller le jeune prince qui dormait en paix ; puis ce grand criminel a été expédié furtivement, avec toute sorte de précautions, entre deux agens de sûreté sur une maison centrale, sur Clairvaux.

Allons, l’expédition a bien marché ! M. le ministre de l’intérieur, à ce qu’on nous raconte, recevait ce soir-là, d’heure en heure, les nouvelles de l’opération, en s’amusant à un vaudeville du Palais-Royal, et il a pu être content de sa police ! M. le duc d’Orléans, mis en voiture entre minuit et une heure du matin, n’a pas rencontré de manifestans prêts à l’enlever sur le quai de l’Horloge pour le conduire à l’Elysée, et il n’a tenté aucune révolution sur le chemin de Clairvaux ! Les plus basses envies démagogiques sont satisfaites, le jeune prince aura de la cellule, dans le voisinage des bandits vulgaires ! Ceux qui savent comment on a raison du ministère l’avaient annoncé ; c’était ce qu’ils voulaient, c’est fait ! La république est sauvée ! — Malheureusement, en gardant son prisonnier, le gouvernement n’a pas diminué ses embarras ; il n’a fait, au contraire, que les augmenter en donnant à l’acte d’une jeunesse hardie le prestige de l’épreuve, de la captivité, et en se mettant lui-même dans une situation sans issue ; mais il y a, de plus, un fait qui a bien quelque gravité et auquel on ne prend pas garde.