militaire ? Le problème, dans les deux cas, est également obscur et laisse provisoirement l’Europe, aussi bien que l’Allemagne, en face d’une assez redoutable énigme.
En tout pays, à mesure que les années passent, tout change et se transforme. Les conditions de la vie intérieure et de la vie extérieure des plus grands états se modifient à vue d’œil. La scène se dépeuple de ses plus vieux acteurs pour se peupler d’acteurs nouveaux, qui entrent maintenant dans leur rôle. De tous ceux qui depuis vingt-cinq ou trente ans ont mis la main aux affaires de leur nation et de l’Europe, la plupart ont disparu ou sont en train de disparaître. M. de Bismarck, en allant voter ces jours derniers dans sa section à Berlin, parlait de ses soixante-quinze ans en homme qui ne dispose plus d’un long avenir, et M. de Moltke est un nonagénaire à demi enseveli dans sa gloire. Les autres, leurs contemporains, acteurs du même drame, l’empereur Guillaume Ier, celui qui fut l’éphémère empereur Frédéric III, le prince Frédéric-Charles, M. de Roon, M. de Manteuffel, ne sont plus là. En Angleterre, M. Gladstone est un des derniers survivans des anciennes générations. Au-delà des Alpes, presque tous ceux qui ont fait l’Italie ont disparu ; il n’en reste que quelques-uns qui ne sont même pas les plus écoutés. En Autriche, M. de Beust, qui avait été chancelier de l’empire des Hapsbourg, qui a eu son influence sur les transformations de la monarchie austro-hongroise, a quitté ce monde il y a quelques années déjà, et après lui, son successeur, le comte Jules Andrassy, meurt aujourd’hui à soixante-sept ans, vaincu par un mal implacable. Il vient de s’éteindre à Volosca, aux bords de l’Adriatique, arrivé au bout d’une étonnante carrière, où il a été tour à tour un conspirateur et un premier ministre, un condamné d’État et un favori des cours. Le roman se mêle à la politique dans la vie de ce brillant Magyar, qu’on appelait quelquefois dans le monde, le « beau ténébreux, » qui reste une des plus curieuses figures du temps.
Né d’une puissante famille de magnats, il avait reçu en partage, avec l’instinct de sa race, tous les dons de la fortune, de l’esprit, de l’élégance, de la séduction personnelle. Le comte Jules Andrassy était né Magyar, grand seigneur, magicien et même ambitieux. Il avait été enveloppé dès sa jeunesse dans la révolution hongroise de 1848 qu’il avait servie comme soldat contre les armées impériales et comme envoyé de Kossuth à Constantinople. Atteint avec bien d’autres par le retour victorieux de l’Autriche aidée de l’intervention russe, il avait été condamné comme rebelle et quelque peu pendu en effigie. Il en était heureusement quitte pour un exil temporaire que le proscrit mondain passait après tout assez doucement dans les hautes sociétés de Londres et de Paris ; mais il n’était pas homme à se morfondre indéfiniment dans l’exil, et après quelques années, profitant d’une grâce