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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/241

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Tout est rentré dans l’ordre à La Haye. Il n’y a plus de crises, ou, s’il y en a, ce sont des crises ministérielles comme celle qui a failli emporter, ces jours derniers, le cabinet présidé depuis quelque temps déjà par M. de Mackay. Cette crise, à peine apaisée aujourd’hui, a été provoquée par une mésaventure parlementaire du ministre des colonies, M. Keuchenius, et elle n’est point sans avoir offert quelques singularités. M. Keuchenius était un ministre ultra-protestant dont la politique un peu vive ne tendait à rien moins qu’à convertir par la propagande religieuse les populations mahométanes des Indes néerlandaises. Ces tendances ne laissaient pas d’effrayer les esprits libéraux ou prudens à la Haye. M. Keucheniuz s’était aussi créé des embarras assez sérieux en soutenant ardemment un gouverneur de Surinam, ultra-protestant comme lui, M. Savornin-Lohman, qui s’est mis en querelle ouverte avec le parlement du pays. Bref, M. Keuchenius s’était fait une position difficile, et le jour où il a eu à défendre son budget devant les états-généraux, la première chambre, dont la majorité est restée libérale, le lui a refusé. M. Keuchenius a dû se retirer.

Que restait-il à faire ? Au premier moment le ministère tout entier a paru disposé à partager la disgrâce du ministre des colonies et à se retirer avec lui. Réflexion faite, on n’est pas allé jusque-là, on a cru pouvoir limiter la crise à la retraite du ministre atteint par le vote de la première chambre. Le président du conseil, M. de Mackay, s’est chargé lui-même de la direction des affaires des colonies en se donnant pour successeur au ministère de l’intérieur un député de la seconde chambre, M. Savornin-Lohman, et c’est ici justement qu’est la singularité. Le nouveau ministre de l’intérieur est le frère de ce gouverneur de la Guyane hollandaise, de Surinam, pour qui M. Keuchenius s’est compromis. Il est lui-même un des chefs du parti ultra-protestant ou antirévolutionnaire ; il va être chargé comme ministre de l’intérieur de présider à l’exécution de la dernière loi scolaire qui a rétabli les influences religieuses dans l’enseignement. On se demande si le chef du cabinet, M. de Mackay, qui est un politique habile, réussira à maintenir dans les affaires des colonies comme dans les affaires intérieures cet esprit de tolérance si naturellement propre au tempérament hollandais. Ce n’est vraisemblablement qu’à ce prix que la dernière crise peut être considérée comme dénouée, au lieu d’être le commencement de nouvelles crises pour la sage Hollande.


CH. DE MAZADE.