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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/288

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territorial et diplomatique de 1815, serait encore investie on ne sait de quelle délégation posthume d’une Europe qui a cessé d’exister pour occuper en cas de besoin les postes avancés de la Meuse contre la France ! Il y a évidemment dans tout cela des méprises, des confusions, des interprétations hasardeuses du droit public et des faits, des jugemens légers sur les choses et sur les hommes[1]. C’est surtout méconnaître sans aucun doute le rôle d’un prince et d’un petit pays placés dans des circonstances où ils n’ont pas pu reconnaître aisément à tous les instans leurs amis et leurs ennemis.

Que les relations de la Belgique avec la France n’aient pas toujours été depuis soixante ans aussi confiantes, aussi faciles qu’elles l’ont été sous la monarchie de juillet, et que les deux princes qui ont régné à Bruxelles aient pu croire parfois nécessaire de s’assurer d’autres appuis, ce n’est que trop vrai, il faut l’avouer. On pourrait dire que, dans l’histoire de ces relations, le second empire a été un épisode qui a laissé de malheureuses traces. Pour l’empire, la Belgique était une gêne par ses libertés et une tentation. Ceux qui ont connu les commencemens de la seconde ère napoléonienne n’ont pas oublié un fait que M. de Falloux signale d’un trait sommaire dans ses Mémoires ; ils peuvent se souvenir qu’un jour, peu après le 2 décembre, au printemps de 1852, on put croire l’indépendance belge menacée par un décret d’annexion improvisé, et qu’une résistance heureuse avait seule arrêté au dernier moment la volonté qui alors décidait de tout. Le roi Léopold Ier n’avait pu l’ignorer, et si pour des années l’incident semblait oublié, le souverain belge avait assez de sagacité pour comprendre qu’il n’était qu’ajourné, assez de prudence pour se précautionner, sans rien laisser paraître dans ses rapports avec celui qu’il appelait le « puissant voisin. » En réalité, il y a toujours eu deux politiques au courant de l’empire : il y a eu la politique française traditionnelle, laissée au ministère des affaires étrangères, celle que M. Thouvenel avait la liberté de résumer en disant un jour : « La Belgique s’est formée, et sa neutralité reconnue par l’Europe couvre depuis lors toute la partie de notre frontière qui se trouvait précisément

  1. M. le major Girard, dans la vivacité de ses préoccupations militaires et diplomatiques, va évidemment un peu loin ; il veut trop prouver. Il ne se borne pas à soutenir que les nouveaux forts de la Meuse ne serviraient à rien, que, dans tous les cas, la Prusse garde le droit d’occuper Namur ; il s’efforce de démontrer que la place même d’Anvers est une « illusion », qu’elle ne tiendrait pas quarante-huit heures devant une attaque sérieuse. C’est expédier bien vite une grosse besogne ; les militaires auraient sans doute à objecter à la démonstration de M. le major Girard. En réalité, l’auteur de cette brochure, qui a fait beaucoup de bruit, veut surtout en venir à prouver que la Belgique doit chercher ses moyens de défense dans la réforme de ses institutions militaires et une organisation nouvelle de son armée.