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Maillebois eut au moins l’avantage de prendre sur lui deux jours d’avance ; c’était juste le temps nécessaire pour livrer bataille avant la jonction des ennemis. Mais, dès son arrivée, il put se convaincre tout de suite que rien, absolument rien, n’avait été préparé pour une nécessité si pressante. Une fois le secours assuré et l’attaque des Autrichiens se trouvant moins vive au premier moment qu’on ne s’y attendait, tout le monde, l’infant tout le premier, s’était rassuré : — « Le maréchal, dit un récit du temps, arriva le 14 juin avant midi, il alla descendre de cheval à la porte de l’infant ; il monta dans la salle d’audience. Là, l’infant le fit attendre un quart d’heure pendant lequel le maréchal s’assit, se déboutonna et s’essuya ; arrive enfin Son Altesse, qui, s’avançant auprès de M. de Maillebois, lui dit : « Ah ! vous voilà, monsieur le maréchal. Je viens de là-haut, j’examinais avec la lunette le camp des ennemis. Ils tirent beaucoup sur nous, mais il n’y a que quelques coups perdus qui viennent jusqu’à nos retranchemens. » — Faisant ensuite une pirouette, il fit remarquer au maréchal un voile blanc qu’il mettait pour la première fois : — « Vous voyez, monsieur le maréchal, reprit-il, je me suis voué au blanc : je vais à la messe, dit-il ensuite, reposez-vous. » — On remarqua que, quand le maréchal entra dans le palais avec les officiers français qui le suivaient, aucun Espagnol ne se trouva sur son passage ni à l’audience[1]. »

Coûte que coûte, n’ayant à choisir qu’entre les inconvéniens de l’attente et ceux de la précipitation, Maillebois insista pour qu’on engageât le combat dès le lendemain au point du jour. Le résultat, dans de telles conditions, ne pouvait guère être favorable. La lutte pourtant fut soutenue sans trop de désavantage pendant toute la première partie de la journée jusqu’au moment où les troupes espagnoles, ne pouvant emporter, après plusieurs efforts réitérés, les retranchemens élevés par les Autrichiens, se découragèrent et entraînèrent dans leur fuite les bataillons français qui leur étaient joints. Il n’était que deux heures après-midi. Maillebois et ses aides-de-camp avaient déjà reformé leurs troupes et s’apprêtaient à charger eux-mêmes à leur tête quand l’infant, effrayé ou trompé par un faux avis, donna le signal de la retraite. Elle s’opéra sans trop de désordre, mais en laissant aux mains des ennemis dix-sept drapeaux et dix pièces de canon. La perte en hommes était à peu près égale des deux parts.

C’était, de compte fait, depuis le commencement de la guerre, la première victoire qu’un général de Marie-Thérèse eût remportée, en bataille rangée, sur un général français. Aussi rien n’égala l’émotion de l’impératrice quand un courrier, qu’elle attendait avec

  1. Mémoire sur les campagnes d’Italie en 1745 et 1746. — Amsterdam, 1777.