Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vainqueurs de Plaisance, non-seulement pour être avertis du mouvement tournant qui était médité et pour s’y opposer, mais pour presser eux-mêmes les deux armées fugitives, l’épée dans les reins, et les réduire soit à une capitulation honteuse, soit à une retraite désastreuse, à travers les défilés des Alpes. Maillebois s’attendait si bien à cette extrémité qu’il prenait les devans et envoyait à Paris sa démission, la mort dans l’âme : — « Je vous serais obligé, disait-il, de charger quelque autre d’une besogne véritablement insoutenable pour moi. Il n’est vraiment pas possible qu’un maréchal de France reste commandant de cette armée, à la façon dont elle et lui sont traités[1]. »

il arrive souvent qu’on est sauvé des conséquences de ses propres fautes par celles de ses adversaires. Ce fut le cas : les causes de dissentiment et de défiance mutuelle n’existaient pas seulement entre Français et Espagnols, Autrichiens et Piémontais en avaient aussi leur part, et la victoire commune, comme c’est l’usage, ne tarda pas à la faire éclater. Il fut bien vite évident que la rentrée des armées gallispanes dans le Milanais causait à Charles-Emmanuel et au marquis de Botta des impressions très différentes. Pour le roi de Sardaigne, c’était tout profit : il était délivré d’une occupation qui depuis un an le tenait à la gorge, et il donnait volontiers congé aux troupes françaises sans trop s’inquiéter s’il passait à son voisin lombard le fardeau dont il était déchargé. L’Autrichien, au contraire, très contrarié de voir reparaître sur le territoire de sa souveraine des intrus dont il se croyait délivré, voulait à tout prix les faire ou les laisser repartir, dussent-ils repasser en Piémont. D’ailleurs, après les mauvais bruits qui avaient couru sur la foi piémontaise, on savait trop quel usage Charles-Emmanuel ferait de sa liberté pour être pressé de la lui rendre. La perte de l’ennemi commun passait donc en seconde ligne dans l’esprit de chacun des alliés, derrière la recherche de son propre intérêt, et animés de vues si différentes, ils ne purent réussir à combiner utilement leurs mouvemens. Une partie seulement des troupes autrichiennes se joignit aux Piémontais pour donner la chasse aux Gallispans et leur fermer l’accès du Pô ; l’autre resta avec Botta devant Plaisance, laissant ainsi d’un corps d’armée à l’autre une distance suffisante pour qu’en prenant bien son moment il fût possible de passer entre eux[2].

C’est ce que Maillebois, essayant sur l’esprit de l’infant un (1)

  1. Ministère de la guerre. — (Correspondance d’Italie. Juillet 1746, passim.) — La dernière phrase citée est tirée d’une lettre du comte de Maillebois, fils du maréchal, au comte d’Argenson son oncle.
  2. C’est M. d’Arneth qui explique par cette différence de vues le peu de parti qui fut tiré de la victoire de Plaisance.