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toutes les propriétés : il répète la même démonstration sur la vapeur d’alcool, au voisinage de la température de l’eau bouillante.

On voit très clairement ici comment s’est opéré le passage entre la notion des quatre anciens élémens, réputés autrefois substantiels, et la conception nouvelle des états purement phénoménaux de la matière. Les travaux de Lavoisier sur le phlogistique ont eu une grande part à cette transformation ; en même temps qu’ils faisaient sortir les théories de la chimie de cet état d’isolement et de mystère où elles étaient demeurées jusque-là, pour les faire entrer dans le domaine général et chaque jour agrandi des sciences mathématiques et physiques.

De là la faveur que sa réforme rencontra aussitôt chez les esprits les plus solides et les plus réputés de l’Académie : c’est à ce moment que fut écrite cette page célèbre, où Lavoisier poursuit, dans l’ordre cosmologique, les conséquences de son système :

« Considérons un moment ce qui arriverait aux différentes substances qui composent le globe, si la température en était brusquement changée. Supposons, par exemple, que la terre se trouve transportée tout à coup dans une région beaucoup plus chaude du système solaire, dans la région de Mercure, par exemple… Bientôt l’eau et tous les fluides susceptibles de s’évaporer à des degrés voisins de l’eau bouillante, et le mercure lui-même, entreraient en expansion ; ils se transformeraient en fluides ou gaz, qui deviendraient parties de l’atmosphère… Par un effet contraire, si la terre se trouvait tout à coup placée dans des régions très froides, l’eau qui forme aujourd’hui nos fleuves et nos mers, et probablement le plus grand nombre des fluides que nous connaissons, se transformeraient en montagnes solides, en roches très dures… L’air, dans cette supposition, ou au moins une partie des substances aériformes qui le composent, cesseraient sans doute d’exister dans l’état de vapeurs élastiques, et il en résulterait de nouveaux liquides dont nous n’avons aucune idée. »

Il était réservé à nos contemporains de réaliser jusqu’au bout les conséquences de ces brillantes hypothèses : nos yeux ont vu l’air et les gaz qui le composent prendre l’état liquide, sous les influences combinées du froid et de la pression. Déjà, il y a plus d’un demi- siècle, Faraday avait manifesté en acte la possibilité de liquéfier la plupart des nouveaux gaz découverts par Priestley, possibilité que Lavoisier annonçait en ces termes, le lendemain même de la découverte de l’acide chlorhydrique (gaz muriatique d’alors) : « Il est probable qu’en le soumettant à une pression très forte et à un