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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/359

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II. — LE CALORIQUE ET LA CHIMIE.

Hâtons-nous d’arriver sur un terrain plus solide, celui des expériences de Lavoisier sur la chaleur, faites en commun avec Laplace, et qui ont jeté les premiers fondemens de la thermochimie. C’est toujours la suite logique du système général, inauguré par Lavoisier et poursuivi par lui avec une infatigable persévérance.

En effet, par suite de ses expériences, la combustion se trouvait éclaircie au point de vue chimique. Il avait établi cette vérité inattendue que dans la combustion il n’y a ni formation ni disparition de matière pondérable, contrairement aux opinions reçues avant lui. Il avait prouvé que l’intervention des gaz suffit à expliquer les augmentations et les diminutions de poids observées, et il avait établi cette vérité d’après des mesures poussées jusqu’au dernier degré d’exactitude. Mais cette explication, je le répète, laissait en dehors d’elle deux phénomènes fondamentaux : les dégagemens de chaleur et de lumière qui accompagnent la combustion et qui ont frappé si fortement de tout temps l’esprit des hommes.

Lavoisier cependant avait cherché à expliquer ces phénomènes. Pour lui, ils étaient dus à la séparation d’une matière spéciale, matière d’un caractère particulier et impondérable : la matière du feu, ou fluide igné, dont la combinaison avec la matière pondérable de l’oxygène, de l’hydrogène, de l’azote, etc., constitue ces gaz dans leur état présent. Lorsque le gaz oxygène se combine aux métaux et aux corps combustibles, il perd la chaleur à laquelle il était combiné précédemment et qui le maintenait à l’état de gaz. La combustion devient ainsi un phénomène de substitution, opérée entre la matière impondérable du feu et la matière pondérable des métaux ; ou bien encore entre la matière du feu et celle du soufre, du phosphore, ou du charbon.

Voilà par quelle suite d’idées Lavoisier fut conduit à mesurer la quantité de chaleur mise à nu et dissipée sous forme libre dans la combustion. Il crut devoir s’associer pour cette recherche avec un homme plus jeune que lui et plus exercé aux spéculations physiques et mathématiques, Laplace, esprit non moins puissant d’ailleurs et qui devait être plus tard le législateur de la Mécanique céleste. Lavoisier et Laplace travaillèrent ensemble pendant les années 1782 et 1783 pour mesurer la quantité exacte de chaleur dégagée par la combustion des corps. Le résultat fut digne de ce que l’on pouvait attendre de l’association de ces deux hommes de génie. Leur Mémoire débute par des considérations générales sur la nature de la chaleur, qui n’ont pas perdu leur valeur, même de nos jours, après un siècle de recherches approfondies dans toutes les