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Elles se rattachent à celles de Descartes et même à celles des philosophes de l’antiquité. « Héraclite et Hippasus, disait déjà l’alchimiste grec Olvmpiodore, ont soutenu que le feu est le principe de tous les êtres, parce qu’il est l’élément actif de toutes choses. »

Quelques années même avant le Mémoire de Laplace et de Lavoisier, on lisait dans les écrits de Macquer, l’un des plus célèbres chimistes de l’époque[1], l’exposé suivant, qu’il n’est peut-être pas superflu de rappeler :

« J’ai pensé jusqu’à présent, avec la plupart des physiciens, que la chaleur était une espèce particulière de matière assez subtile pour pénétrer les corps. » Et plus loin :

« Tout concourt à indiquer que ce n’est qu’un accident, une modification dont les corps quelconques sont susceptibles et consistant uniquement dans le mouvement intestin de leurs parties et qui peut être produit non seulement par l’impulsion et le choc de la lumière, mais en général par tous les frottemens et percussions des corps quelconques. » Il ajoute, à l’occasion de la chaleur qui se dégage par le mélange d’un liquide acide et d’un liquide alcalin, sans que la tranquillité du système soit en apparence troublée : « Les collisions les plus fortes, qui occasionnent les plus grandes différences de chaleur dans les combinaisons des agens chimiques, ne sont point celles des parties sensibles des corps ; mais elles ne se font qu’entre des particules élémentaires d’une petitesse inconcevable, dont les mouvemens, quoique très violens, sont absolument insensibles à nos yeux. Ces actions, qui se présentent à nous sous l’apparence trompeuse d’une liqueur homogène et tranquille, mettent en jeu une multitude infinie d’atomes que nous verrions dans une agitation incroyable… » On voit ici combien nous sommes loin de cette conception imparfaite, fondée sur la matérialité de la chaleur, à laquelle Lavoisier s’était particulièrement attaché. Mais les conséquences de ces idées et la théorie de l’énergie qui les traduit aujourd’hui ne se sont développées que soixante ans plus tard. J’ai dû les rappeler cependant pour mieux faire entendre le caractère réel et la portée du progrès accompli par Lavoisier et Laplace. Ce progrès était considérable, non-seulement en théorie, mais dans la pratique même des expériences.

En effet, ces auteurs, après avoir présenté leurs principes généraux, exposent une nouvelle méthode pour mesurer la chaleur. Au lieu de recourir, comme Black l’avait fait récemment, à la méthode des mélanges, fondée sur la mesure des changemens de température d’un système, ils imaginent d’opérer à température fixe, à zéro, en mesurant la quantité d’eau réduite à l’état liquide par la

  1. Dictionnaire de Chimie, article Feu, 1778.