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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/373

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obtenir la reconnaissance de ce droit et la consécration de ces garanties.

On s’étonnera un jour qu’il ait fallu une pareille dépense de diplomatie d’une part, de l’autre le concours d’autant d’hommes éminens que ceux qui composent l’Association littéraire et artistique internationale, autant d’efforts qu’ils en ont dû faire, autant d’éloquence et de bon sens déployés pour établir, tout d’abord, que la propriété littéraire pourrait bien être une propriété. Lakanal déclarait, en 1791, devant la Convention, qu’elle était « la plus personnelle et la plus inviolable de toutes. » Depuis Lakanal, il a fallu se remettre à l’œuvre, établir et prouver et, non sans peine, faire admettre que le droit de l’auteur résultait du fait même de la création de son œuvre, littéraire ou artistique, que, l’ayant créée, il en était légitime propriétaire.

Jusqu’à quand ? Mais, semble-t-il, jusqu’au jour où, à défaut d’héritiers, cette propriété tomberait en déshérence, non dans les mains de l’État, qui n’en a que faire, mais dans le domaine intellectuel public, qui peut-être en a l’emploi, d’où l’œuvre est sortie, où elle rentre, auquel elle s’adresse, duquel elle relève. Si la propriété littéraire est vraiment une propriété, sa durée est perpétuelle ; on ne saurait la limiter sans en dénaturer le caractère. Elle s’acquiert et se transmet par succession, par donation, par l’effet des obligations, dit l’article 711 du code civil, de la propriété des biens. Et pourtant, en 1791, en 1793, en 1810, en 1844, on légifère sur la matière ; en 1854, on porte à trente années, à partir de la mort de l’auteur, compositeur ou artiste, ou à partir de l’extinction des droits de sa veuve, la durée de la jouissance accordée à ses héritiers. En 1866, on l’étend à cinquante années.

Qu’est-ce à dire ? La propriété littéraire n’est donc pas une propriété absolue, identique à toute autre ? L’homme qui laisse aux siens une œuvre littéraire ou artistique créée par lui leur laisse donc un bien qui est autre, limité dans sa durée, différent de ce que serait le champ ou la maison acquis du produit de l’aliénation définitive par lui faite de cette œuvre ? Nul doute, puisque la jouissance de cette propriété cesse à une date fixée par la loi. Nul doute non plus que cette propriété ne soit d’une nature différente des autres et, surtout, qu’elle ait contre elle d’être d’une origine plus récente.

L’antiquité ne l’a pas connue, et, dans notre Europe même, elle n’est qu’une parvenue moderne. Le premier qui la revendiqua passa pour un fou et les plus grands génies n’osèrent porter si haut leurs prétentions ni se croire propriétaires des œuvres immortelles qu’ils nous ont laissées. Ils estimaient, ces pauvres grands