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la lice chez sa voisine, il s’y estime chez lui, et, d’un emprunt souvent forcé fasse un don volontaire et bénévole.

La logique finit pourtant par l’emporter, non sans peine, et force fut bien de reconnaître à l’auteur le droit de disposer de la traduction de son œuvre, mais on lui imposa tout d’abord une limite dérisoire, de quelques mois au plus, à l’expiration desquels, si sa traduction n’avait pas paru, traduisait qui voulait. Plus tard on a étendu ce délai, sans faire droit toutefois aux réclamations de l’Association des auteurs, qui, assimilant la traduction à la reproduction, demandait que l’auteur seul pût, aussi longtemps que son droit subsiste sur l’original, interdire ou autoriser la traduction de son œuvre. C’est ce qu’a reconnu la loi belge[1], tout en s’abstenant de proclamer le principe du droit de propriété, mis de côté comme une question métaphysique, sans utilité pratique. À l’expression de propriété littéraire et artistique que contenait le projet de loi du gouvernement, on a substitué celle de droit d’auteur. Ce n’en est pas moins l’un des résultats les plus importans obtenus par l’Association, et ce n’est pas non plus l’une des moins curieuses conséquences dues à son initiative, de voir le pays, si longtemps le refuge classique des contrefaçons et des contrefacteurs, figurer à l’avant-garde des défenseurs déclarés des droits des auteurs.

Cette solution n’était cependant ni partout admise, ni sur le point de l’être. Vainement Alphonse Karr, excédé des interminables discussions de principes, demandait au congrès le vote d’un article unique ainsi conçu : « La propriété littéraire est une propriété, » le congrès, plus sage, sentait bien que c’était demander l’impossible. Il s’en tenait à gagner du terrain, et, sur cette question de traduction, à réfuter les argumens des adversaires du principe concédé par la Belgique. Tenant la traduction pour l’une des formes les plus distinctes de la propriété primitive, pour une forme qui n’a pas le même auteur et ne donne pas le jour au même ouvrage, ces derniers en concluaient que le droit d’interdire la traduction ne faisait pas partie intégrante du droit de l’auteur. Leurs argumens n’étaient pas sans rencontrer créance à l’étranger, notamment de l’autre côté de l’Atlantique, et l’on verra plus loin ce qu’il a fallu d’efforts pour triompher, à Washington, de l’opposition des traducteurs et de nombre d’éditeurs intéressés au maintien d’un état de choses dont ils bénéficiaient largement.

Si traduire est reproduire, en est-il de même de l’adaptation ? L’auteur d’une œuvre scientifique, historique ou philosophique est-il en droit d’interdire qu’on l’adapte à une catégorie particulière de lecteurs, en élaguant, modifiant ou condensant son texte,

  1. Loi du 22 mars 1886.