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saires au tribunal de leur faire déposer 5,000 francs de caution, demande qui fut, après plaidoiries, admise jusqu’à concurrence de 1,500 francs par les juges.

Nonobstant ces critiques et quelques autres tout aussi fondées, il n’en demeure pas moins que la convention de Berne, convention d’union, a laissé subsister les conventions particulières antérieures dans tout ce qu’elles ont de plus favorable aux auteurs et aux artistes ; qu’elle porte à dix années le droit exclusif de faire ou d’autoriser la traduction, délai qui n’avait encore été consenti par certains états que pour cinq ans ; qu’elle déclare que toute œuvre parue dans l’un des états de l’Union est immédiatement protégée dans tous les autres, sans autres formalités à remplir que celles exigées dans le pays d’origine. Enfin elle supprime les dépôts multiples et onéreux ; elle n’est qu’un commencement, et, incessamment révisable, elle peut et doit aboutir à l’unification des lois en la matière. En la substituant, aux États-Unis, à l’état de choses que nous avons décrit, M. le ministre des affaires étrangères et ses collaborateurs, MM. Roustan et de Kératry, auront bien mérité de tous ceux qui ont à cœur le droit incontestable de l’auteur et de l’artiste à bénéficier, dans une certaine mesure, du fruit de leurs travaux.


IV.


Qu’ils aspirent à plus et mieux, cela se conçoit. Leur désir de n’être ni pillés ni volés n’a rien que de naturel, et, en soi, de fort légitime. Il faut que ce désir soit bien vif, bien ancré dans leur esprit pour les amener, — et non des moindres, — à souhaiter de voir taxer leurs productions intellectuelles, de payer à l’état une redevance sur ces productions, comme les propriétaires sur leurs terres, champs ou maisons, espérant ainsi convertir en une propriété réelle, telle que terres, champs ou maisons, les œuvres par eux créées. À tort ou à raison, ils soutiennent que le cerveau qui enfante, comme la terre qui porte, représente un capital ; qu’il a fallu des années et de l’argent pour mettre l’un et l’autre à même de produire, et que leur rendement, légitimement, appartient à leur propriétaire, non en viager, en usufruit, mais à perpétuité.

La seule différence, c’est que, dans un cas, l’État, c’est-à-dire la communauté, prélève, sous forme d’impôt, une dîme sur la propriété mobilière ou foncière, alors qu’il n’en prélève pas directement sur les œuvres littéraires ou artistiques. De là à conclure qu’en acquittant la dîme, l’auteur ou l’artiste acquerrait le droit, il n’y a pas loin, et volontiers bon nombre accepteraient un troc auquel ils estimeraient gagner. Le jour où l’État frapperait d’une