Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/432

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parlementaire a été partout spontanément admis ; et les dernières de ces constitutions sont d’hier, elles n’ont pas été rédigées par Hamilton et par Gouverneur-Morris, elles sont l’ouvrage d’hommes obscurs, qui vivent dans des pays dont les noms mêmes étaient hier inconnus : ces pionniers, ces émigrans, ont la modestie de croire que ce qui a été bon pour les États-Unis pourrait bien l’être pour l’Utah ou le Colorado. Ce fait pourrait être opposé partout à ceux qui critiquent les chambres hautes, car la liberté la plus complète a été laissée aux faiseurs de constitutions des états ; toujours ils ont senti le besoin de copier les grandes lignes de ce qu’on pourrait appeler la constitution mère. Celle-ci a tout ou presque tout prévu, en ce qui concerne les pouvoirs publics; mais il y a des choses qui, par leur nature, échappent à tous les calculs de la prudence humaine. Qu’importe que le sénat soit bon, si les sénateurs sont mauvais, que la cour suprême soit admirable, si les juges de cette cour suprême sont méprisables, que le président ait toute la puissance nécessaire au pouvoir exécutif, s’il s’en sert mal ou ne s’en sert pas, que l’indépendance des états ait des limites bien tracées, si ces limites sont sans cesse franchies ! « Quand les Américains exaltent leurs institutions, a écrit M. Bagehot, ils se font tort à eux-mêmes de tous les éloges auxquels ils ont droit... Les hommes de Massachusetts seraient capables de faire bien marcher n’importe quelle constitution. »

Une des grandes difficultés du gouvernement parlementaire est la constitution de deux grands partis de gouvernement, dont aucun ne soit révolutionnaire. Le duc de Noailles a bien compris que tout le jeu de la constitution américaine se subordonne à l’organisation des partis. Sur ce point fondamental, il a été vraiment original. Avez-vous jamais vu aux abords d’une mine ce qu’on nomme les ateliers de préparation mécanique? Le minerai passe dans des appareils de toute sorte, cribles, tamis, bocards, lavoirs; ce n’est qu’au terme que vous apercevez le métal précieux. Ce qui était de la boue est devenu de l’or, de l’argent, du cuivre. Les partis sont des sortes de grands ateliers de préparation politique; au terme vous avez l’or présidentiel ou sénatorial, l’argent des membres du congrès ; les politiciens les ont fait sortir de la gangue commune ; ils ont amené la poussière ou la boue électorale dans des canaux bien préparés, savamment dirigé les volontés individuelles vers un but commun, donné un sens au chaos. La machine électorale américaine est compliquée : le personnel politique est nombreux, depuis le politicien de cabaret jusqu’aux grands inspirateurs du parti, au boss (c’est le nom familier donné aux chefs d’atelier) qui reste à demi dans l’ombre, et qui envoie ses ordres par ses