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revue rapide de l’histoire récente des partis américains. « Mes amis et moi, me disait-il, avons cru nécessaire, après la guerre, de maintenir le parti républicain au pouvoir, aussi longtemps au moins que nous avions devant nous ce que nous appelons the solid South, c’est-à-dire un groupe d’États vaincus par les armes, dont nous ne suspectons en rien la loyauté, mais qui sont rentrés dans l’Union avec la plénitude de leurs droits ; qui, s’ils n’ont plus leurs anciennes ambitions, ont forcément des regrets et des souvenirs, et dont nous trouvons toujours devant nous les représentais unis en un groupe compact, indivisible. Seuls, nos démocrates du Nord ne nous inquiétaient pas; avec l’appui du solid South, ils devenaient redoutables, ou plutôt le Sud pouvait redevenir redoutable avec eux. « Il est résulté de cette situation délicate et difficile, il faut l’avouer, que le parti républicain, pour se maintenir au pouvoir, a cru pouvoir user de tous les moyens ; la préoccupation patriotique des chefs est devenue, chez les instrumens, la licence et la corruption. Le mal a pris de telles proportions qu’à un certain moment, des républicains puristes (on les a nommés mugwumps) se sont détachés de leur parti, et, en se portant dans le camp démocratique, ils ont assuré l’élection de M. Cleveland. La majorité républicaine se vit réduite à deux voix dans le Sénat. Assurément, M. Cleveland a traversé très honorablement la présidence; mais, sous son administration, les forces des deux partis se sont trouvées si également balancées qu’il en est résulté une sorte d’impuissance et d’anémie politique. La dernière élection a rendu la présidence au parti républicain, et l’on voudrait espérer qu’il profitera de la leçon qu’il a reçue, qu’il donnera des satisfactions plus sérieuses à ce groupe des puristes, qui, pour ne pas être un groupe parlementaire, n’en a pas moins une influence légitime dans le pays.

Le strict dualisme des partis semble être un phénomène naturel aux États-Unis, comme en Angleterre; c’est dans les traditions de la race anglo-saxonne que M. le duc de Noailles voit la source véritable de la grandeur et de la prospérité des États-Unis. L’influence anglaise, cela est incontestable, a été l’influence maîtresse; les Pilgrim fathers ont apporté avec eux plus qu’une civilisation, plus qu’une religion, plus que des lois, un certain mode de sentir et de penser. C’est sur ce fonds qu’a vécu et grandi l’Union; mais ce fonds a reçu et reçoit encore les incessantes alluvions de l’émigration. Les deux races anglaise et irlandaise se retrouvent, de l’autre côté de l’Atlantique, aussi antipathiques l’une à l’autre que dans la Grande-Bretagne : l’une éprise d’ordre, conservatrice, docile aux lois; l’autre toujours révoltée,