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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/460

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le chercher, tout émue, et il a trouvé chez sa mère, en rentrant, un grand monsieur maigre qui l’a regardé d’un air curieux et satisfait, en disant :

— Ainsi c’est là le petit lord Fauntleroy ?

Grand étonnement de Cedric quand la chose lui est expliquée ; il comprend mal, il a presque peur, il aimerait mieux ne pas être lord, aucun des petits garçons qu’il a connus n’était lord, et c’est un chagrin pour lui de quitter Mr Hobbs à qui timidement il va conter ce qu’il considère comme une mauvaise fortune.

— Mr Hobbs, vous avez dit hier que vous ne laisseriez jamais des lords rôder autour de vos boîtes à biscuits ; eh bien ! il y en a un d’assis sur vos biscuits en ce moment même ! Je suis un lord, ou je vais en être un, je ne veux pas vous tromper.

Mr Hobbs se lève brusquement, regarde le thermomètre, puis la figure de son petit ami, pose une main sur la tête bouclée du bambin et s’écrie :

— Vous avez reçu un coup de soleil ? Par un jour aussi chaud, ce n’est pas étonnant ! Qu’est-ce que vous ressentez ? D’où souffrez-vous ? Depuis quand cela vous a-t-il pris ?

Lorsque Cedric est parvenu à lui expliquer que son grand-père, qu’il ne connaît pas, le fait demander en Angleterre, Mr Hobbs balbutie, au milieu des exclamations les plus incohérentes :

— Et vous croyez qu’il n’y a pas moyen de vous tirer de là ?

— J’ai peur que non, répond Cedric. Maman dit que mon papa aurait voulu que j’obéisse… Mais, si je dois être lord malgré moi, il y a une chose que je peux faire, j’essaierai d’être un bon lord… Je ne serai jamais un tyran, je vous le promets, et s’il y a une nouvelle guerre avec l’Amérique, je veux tâcher de l’arrêter.

Le plus grand sacrifice que puisse faire Cedric à la situation qu’il n’a pas cherchée, c’est celui de l’intimité avec sa mère, qui se résigne à l’abandonner, quoi qu’il lui en coûte, — pour son bien, dit-elle. Il est vrai qu’elle le suivra en Angleterre et qu’elle pourra le voir souvent, — le vieux earl y a consenti, avec le secret espoir de réussir peu à peu à détacher cet enfant de sa mère on comblant tous ses désirs, en lui faisant une existence aussi brillante qu’était obscure et modeste celle qu’il avait menée auparavant. Mais Cedric n’est pas de ceux que l’on peut aisément corrompre ; toute la diplomatie du monde se brisera contre sa jeune vertu. L’équipage envoyé à sa rencontre, la livrée nombreuse, le parc immense, le château majestueux, l’émerveillent bien comme la réalisation des images qu’il a vues dans les contes de fées, mais sans qu’il s’enorgueillisse pour cela d’en être le futur possesseur ; il aborde avec confiance un vieillard aux traits durs, à la physionomie impérieuse,